Dans cette véritable jungle urbaine qu’est le rap, une nouvelle génération d’artistes semble sortir petit à petit des obscures broussailles. A leur tête, le plus déterminé d’entre eux : un MC technique, passionné, qui s’est longtemps entrainé dans l’ombre et qui a aujourd’hui décidé de dévoiler son talent au grand jour pour tenter d’atteindre les sommets. Entre ses nombreuses collaborations et la mixtape ERRR brusquement sortie en décembre, Louis Ambroise alias La Fève n’a cessé de faire parler de lui en 2021. Focus sur un artiste unique et son univers singulier qui risque de marquer les années à venir.
Jeune et Ambitieux
« Appelle moi LAF, l’affamé à jamais je suis jeune et ambitieux », c’est avec cette phrase que se conclut le morceau « L’AFFAMÉ » et c’est sans nul doute celle qui résume le mieux le rappeur de Fontenay-sous-Bois. Pour assouvir cette faim il n’y a qu’un seul moyen : le travail acharné. Ayant commencé à freestyler tôt dans son adolescence aux côtés de son ami et rappeur Dundy, il ne s’arrêtera plus. De Misanthrope aux deux volumes de EMPTY THE BIN en passant par la trilogie Nocturne, La Fève a posté presque une centaine de sons exclusivement sur Soundcloud dans pas moins de sept projets. La plateforme conserve toujours ce riche historique et permet de mieux comprendre l’évolution de l’artiste. S’il a posté autant de morceaux c’est qu’il considère Soundcloud comme son journal intime, un endroit où il pourra laisser s’exprimer son art librement et où sa musique sera jugée sans apriori. Thème récurrent de ses chansons, sa persévérance est particulièrement bien racontée et décrite dans le court mais remarquable La Paresse 2, un projet de quatre titres introspectifs où il évoque son quotidien et ses appréhensions sur sa vie.
Si le rappeur a aujourd’hui perdu la spontanéité qu’il pouvait avoir sur Soundcloud en migrant vers les autres plateformes de streaming, c’est pour pouvoir poursuivre son ascension et espérer avoir un impact plus important. Déterminé et confiant, il a toujours su qu’un jour ou l’autre il vivrait de sa musique et irait se hisser au sommet. Comme il le répète au fil de ses projets, même si c’est le public qui décide de la réussite d’un artiste, il va tout faire pour y arriver en se créant autant d’occasions qu’il faudra. Cette pleine confiance en lui et en son talent se ressent énormément dans sa musique et nous laisse alors voir une autre de ses spécificités : son authenticité.
De « vrais sont mes vers » du poignant « Comme prévu. » sorti en 2018 jusqu’au « pas de casquette » (traduction littérale de l’expression « no cap » qui signifie ne pas mentir) dans le récent « MAUVAIS PAYEUR », La Fève n’a jamais changé sa ligne de conduite et à toujours mis un point d’honneur à ne pas jouer un rôle. Cette droiture envers ses principes se ressent aussi dans la fidélité qu’il a pour ses proches, un entourage qu’il n’a jamais quitté, que ce soit Dundy avec qui il a commencé, Styco chez qui il faisait les projets Nocturnes, HERMES qui a produit nombre de ses morceaux postés sur Souncloud ou encore la Walone, S-Tee ou Kosei . Cet esprit de fraternité on le retrouve également dans la Grünt #43 qui lui était dédiée et dans laquelle il a invité quelques-uns de ses amis rappeurs. La Fève est bien entouré et compte le rester pour pouvoir s’élever avec ses proches. Mais si travail acharné et sincérité ne suffisent pas à un artiste pour arriver sous le feu des projecteurs, le jeune rappeur peut compter sur son style unique et sur ce qui le fait sortir du lot : son talent d’innovation.
J’suis La Fève G faut pas m'comparer
Si La Fève a globalement toujours bien rappé, c’est à partir des volets Nocturne qu’il va adopter la manière de s’exprimer qu’on lui connait aujourd’hui. En interview pour Les Inrockuptibles, il a confié avoir commencer à utiliser un flow plus nonchalant et plus calme pour éviter de déranger ses voisins la nuit, alors qu’à cette époque ses influences old-school le poussaient naturellement à rapper fort voire à crier.
Ce son j'le fais comme si j'te parlaisLa Fève - LONERRR
La Fève est un rappeur pour qui, le fond est moins important que la forme, il mise davantage sur ses placements, ses rimes et la musicalité de ses phases que sur le sens propre des paroles. En fait, comme peut le faire un rappeur technique, il met son écriture au profit de la forme plutôt que du fond. Lorsque l’on se plonge dans ses lyrics, on se rend compte qu’il se cantonne à une dizaine de thèmes principaux : la réussite, le vice, le travail, la spiritualité ou encore la religion. Ces thèmes récurrents lui ont permis de développer son propre univers avec ses codes, ses centres d’intérêts, ses objectifs... On pourrait croire que le rappeur ne parle que très rarement de lui mais lorsque l’on connait plus son histoire on comprend mieux certaines phrases. L’effet ambiançant de sa musique nous fait naturellement passer à côté de l’aspect sentimental et personnel des paroles, finalement c’est quelque chose qui se remarque plus au fil des écoutes, quand on va au-delà de la musicalité.
Si La Fève cite Le Gouffre, Sefyu, Sëar Lui-même ou encore Ateyaba et 3010 comme ses influences, ce n’est pas un hasard : c’est un passionné de rap. Des références comme celle à Fabe dans son morceau « LAF » témoignent du fait qu’il connaisse cette culture. Inspiré par beaucoup de kickeurs, La Fève a gardé cette influence mais en tentant toujours d’innover. C’est ainsi qu’il a développé sa propre manière de rapper, clairement identifiable : un rap où flow saccadé, rimes tranchantes, assonances et allitérations en abondance, ton nonchalant et phases courtes mais terriblement efficaces se mélangent pour ne faire qu’un. Véritable adepte du couplet unique (en témoigne le morceau « NO HOOK », sans doute en référence à Jay-Z), il a fait de cette simplicité une marque de fabrique. Son objectif n’est pas de poser le plus de mesures possibles sur la prod mais de ne faire plus qu’un avec celle-ci en lui laissant la place qu’elle mérite dans le morceau.
Les productions jouent un rôle primordial dans la musique du rappeur. Pour lui c’est une façon de plus de se démarquer. Bercé par des Pi’erre Bourn, Ponko ou Ikaz Boi, La Fève ne fait pas dans la finesse sur cet aspect. 808’s agressives, mélodies entêtantes, synthétiseurs électroniques et samples envoûtant s’allient le temps d’un morceau. Toujours dans cette optique d’innover, il va même jusqu'à poser sur des samples issus de jeux vidéo comme avec Pokémon sur « BOXE INTERLUDE » ou même Hollow Knight qui donnera naissance à la production de « MAUVAIS PAYEUR ». C’est cet attrait pour la nouveauté et l’originalité qui l’amènera à collaborer avec Kosei. L’alchimie entre les deux artistes se crée rapidement et se concrétisera en septembre 2020 avec KOLAF. Le projet est largement encensé par la critique et les médias spécialisés, et une communauté va se former autour de l’artiste.
Nous c’est la new-wave, vous c’est les fanés
Celui qui porte le prénom du plus grand roi de France est revenu fin 2021 avec un nouveau projet pour affirmer sa position de leader de la nouvelle génération. En appelant sa mixtape ERRR, le son d’un vomi comme il le dit lui-même, il montre que sa musique sort naturellement de lui et que ce projet est le fruit de son talent pur. Si les dix-huit titres nous apparaissent aussi maîtrisés et instinctifs, c’est que derrière il se cache en vérité un véritable travail d’orfèvre. Que ce soient les flows, les lyrics, les rimes, les transitions, la durée des sons, les feats ou les productions, tout sonne juste. Il semblerait que le rappeur a réussi à trouver le parfait équilibre entre ce qui est méticuleusement réfléchis et ce qui sort spontanément de son esprit. Plusieurs mois avant la sortie du projet il en parlait déjà comme étant une palette de tout ce qu’il est capable de faire, d’où la volonté de réunir de nombreux beatmakers autour du projet. Pari réussi, la mixtape est une véritable démonstration de force et nous prouve la capacité de La Fève à se renouveler et à se diversifier tout en dévoilant son univers à un plus large public.
Khali, J9ueve, La Fève, Zinée, Zamdane, Jwles, Benjamin Epps et beaucoup d’autres jeunes artistes ont, au fil de l’année passée, réussi à se faire une petite place dans la scène rap. Ces nouveaux talents sont passionnés et créatifs, mais ils ont surtout une vraie volonté de marquer leur époque et de proposer quelque chose de différent. Des motivations largement encouragés par un public friand de découverte et par des médias qui en ont fait leur ligne éditoriale. Avec ERRR, La Fève est venu affirmer la position de cette new-wave comme réelle relève du rap francophone. Le projet a réalisé un excellent démarrage et a fait grand bruit sur les réseaux sociaux. Ce succès est un message fort pour tout une communauté d’artistes. Il est la preuve que les codes rigides du rap mainstream sont en train de changer et que proposer quelque chose de différent, voir à contre sens de la tendance, peut marcher même pour les petits artistes. Ceux qui vont marquer la décennie 2020 du rap francophone sont déjà là, et on peut être certain que La Fève en fait partie.