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Sean

Restez Prince : rester simple, jeune et humble

19 avril 2022

Nous rencontrons Sean dans le quartier de Pigalle, à seulement quelques pas de La Boule Noire, la salle qui l’accueillera quelques jours plus tard pour fêter la sortie de Restez Prince, son quatrième projet. Le rappeur raconte avec fierté les derniers préparatifs de ce premier véritable concert, un show dont toutes les places se sont d’ailleurs écoulées en seulement quelques heures. C’est dans ce contexte privilégié qu’il s’est confié sur son nouveau projet, sa façon de travailler et le message qu’il tente de faire passer. Entretien avec Sean, un jeune prince qui compte le rester.


La Loge : Ce nouveau projet sort après une période où tu as été un peu moins présent, qu'est ce qui explique cette discrétion ?

Sean : C'est surtout le covid qui m'a bien ralenti. J'avais un plan de prévu et j'ai tout revu pour repartir sur de nouvelles bases. J'avais l'impression d'être dépassé par ce que j'avais fait et j'avais toujours envie d'un nouveau truc. Du coup je me suis dit que j’avais le temps. Je suis allé dans un nouveau studio qui s'appelle Noble, j'ai rencontré une équipe qui tue, c'est un studio qui a été créé par Espiiem. Ils m'apportent beaucoup parce qu’ils sont pas mal dans une DA néosoul, ils sont très techniques dans le son et ils ont professionnalisé ma façon de travailler. Je me retrouve à rejouer des VST comme sur « Omax », un des trois premiers singles, on a ramené un percussionniste brésilien et c'est ça que j'aime bien dans ma nouvelle DA. On pousse vraiment la musique et on essaie d'aller de plus en plus vers l'organique. C'est pour ça que ça a pris un peu de temps avant de démarrer. Restez Prince c'est vraiment les prémices, parce qu’on n’a pas eu le temps de tout faire comme on voulait, mais ça annonce que du bon pour la suite.

LL : Est-ce que le contexte particulier de la sortie de MP3+WAV a joué un rôle dans cette pause ?

S : Je pense que ça a vraiment joué un rôle, parce que comme je le disais j'avais des plans sur ce que j’allais faire pour la suite. Le projet que j'étais en train de préparer et qui est né sous MP3+WAV à cause d'un accident, c'était ça la suite. J'imaginais ça en plusieurs tomes, avec une histoire totalement différente que l'histoire que je raconte aujourd'hui. Restez Prince c’est une philosophie qui s'est dégagée presque depuis le début de ma carrière, je savais que je voulais en faire quelque chose et je pensais que ça allait arriver beaucoup plus tard qu’aujourd'hui. Finalement j’étais trop dans Restez Prince donc j'étais obligé de partir sur ça, je n’allais pas attendre. Quand tu es dans l'attente de quelque chose parce que tu trouves ça trop lourd, tu te dis que tu le feras plus tard, quand tu seras vraiment bien. Mais en fait je vais le faire maintenant parce que Restez Prince c'est l'aventure, ce n’est pas la fin de la quête, c'est tout ce qu'il y a pour y parvenir.

 On pousse vraiment la musique et on essaie d'aller de plus en plus vers l'organique. 

LL : C’est un projet dans lequel je te trouve beaucoup plus calme. Ta voix est globalement plus grave, les cris et les montées dans les aigus se font beaucoup plus discrets, il y a moins de folie. Est-ce que c’était une volonté de faire ça ou c’est ton style qui a complètement évolué ?

S : Oui c'est ça, je pense que c'est mon empreinte vocale qui a évolué. Je ne pense pas que ça soit complètement différent, c'est juste que je pose d’une manière à ce que ça soit un projet qui se lie dans son ensemble et qu’on reconnaisse toujours l'orateur. Il y a toujours des traces de folie dans certains sons, quand tu écoutes « Zeudog vie » il y a des trucs fous quand même. Mais tu as raison ma voix est beaucoup plus posé. Restez Prince c'est ça aussi le projet, c'est rester cool, rester les pieds sur terre, comprendre le monde qui t'entoure.

LL : Tu sembles dans une démarche moins spontanée et plus réfléchie, plus travaillée.

S : Je pense que c'est aussi le studio dans lequel je travaille aujourd'hui, je n’ai plus du tout la même façon de travailler. Avant je faisais des sons en une heure et demie / deux heures, aujourd'hui je prends presque dix heures pour faire un son. Je n'ai plus du tout la même approche que ce soit sur les paroles ou sur l'empreinte vocale. Après je rappe beaucoup plus aussi, c'est moins autotuné, il y a plus de trap, plus de trucs qui bougent. Je pense que c'est le studio dans lequel j'enregistre, et notamment l'ingé qui a réalisé le projet, qui a joué sur ça.

LL : Sur chacun de tes projets, on peut déterminer une couleur précise. Il y a eu le vert et le bleu, mais toujours dans une ambiance plutôt froide. Ici la couleur c'est clairement le rouge, elle transmet bien l’aspect chaleureux de la mixtape. Qu'est-ce qu'elle représente cette couleur pour toi ?

S : C'est une couleur forte le rouge, c'est le communisme, c'est le sang, c'est des ciels pourpres comme sur la cover. Le rouge c'est aussi la couleur du peuple. Là on vient de passer les élections, malheureusement JLM n'est pas passé, mais il a une cravate rouge, il y a de ça. Je reste dans la modestie mais je suis grave un mec du peuple, je n’aime pas me sentir supérieur, je me sens mal à l'aise en fait, à part quand je suis sur scène et que je suis dans mon personnage. Quand je rencontre des gens j'ai une relation très étroite avec eux, je suis très direct. Je ne me mets pas de carapace.

LL : Tu parlais de l’équipe du studio Noble qui t’as entouré sur ce projet, en plus de ça tu as aussi récemment rejoint le label Suite 21. Pourquoi ce nouvel entourage et qu’est-ce que ces changements t’ont apporté ? Tu te sens plus professionnel ?

S : C'est un nouveau chapitre, j'avais besoin de ça. J'ai toujours besoin d'excitation, de challenge, de choses qui me font un peu peur pour que je puise le meilleur de moi-même, pour faire ce que j'ai envie de faire, et c'est comme ça que j'aime faire. J'ai senti, à un moment, que j'arrivais à la fin d'une histoire avec des gens avec qui on avait une façon de travailler qui avait ses limites, J'ai d'autres envies qu'avant. Avant j'avais juste envie de dead ça, maintenant je suis dans la recherche d'autre chose, c'est peut-être pour ça qu'en ce moment je suis plus posé. Je suis, ou plutôt Sean, est un artiste qui évolue. Je suis entouré, j'ai une bête de manageuse, mon label est cool, mais dans cette merde tu es souvent seul. Tu es souvent accompagné par tes potos mais il n’y a personne d'autre en vrai. Il n’y a pas les grandes réunions de label comme on peut imaginer. Du coup tu en apprends beaucoup sur la musique et sur le milieu, je pense qu'aujourd'hui j'ai beaucoup plus les armes. J'aide des artistes, des potes, en développement, je sais que je suis encore en développement mais j'ai plein de conseils à leur donner, je peux leur dire de ne pas faire les mêmes erreurs que moi. C'est plus de ce point de vue-là que je me sens professionnel, parce que ça fait deux/trois ans que je suis dedans. Maintenant je sais comment faire mon argent, je sais comment gratter des sous à droite à gauche, je sais comment m'arranger sur un clip, avec qui travailler, je connais les gens. C'est plein de trucs que je garde pour moi et c'est toujours cool de pouvoir avoir une vue sur comment marche la musique.

LL : Tu t'es peut-être plus ouvert aussi ?

S : Oui je pense. En grandissant tu deviens moins timide, tu es plus sûr de toi, tu sais ce que tu racontes, tu prends vraiment une manière de parler propre à toi, et ça quand tu commences à le ressentir ça fait du bien.

LL : Justement, durant l’année qui vient de passer tu es apparu sur pas mal de featurings. Tu as vraiment eu une volonté de t’ouvrir vers d’autres artistes ou simplement tu n’avais pas l'opportunité de ça avant ?

S : Dans l'époque Mercutio j'étais vraiment dans une gamberge en mode « je ne veux pas faire de feats ». Après pour A moitié loup j'avais rencontré Azuul, on avait fait un bête de son et c'est un peu ce feat là qui m'a débloqué, même si j'ai toujours fait des sons avec mes potes. Avec Yassin on a sorti un son ensemble il y a deux/trois mois, mais on n’a jamais rien sorti plus tôt par exemple. Je ne pense pas que ce soit une envie de m'ouvrir, c'est plus que ça m'est tombé dessus. Zinée m'a invité, Rad c'est un mec que je connais depuis longtemps et il m'a invité. Mais pour moi dans cette période-là j'étais dans le silence, dans ma cave, je ne communiquais pas, à part un tout petit peu sur ces feats. Finalement c’était cool parce que le son avec Zinée par exemple il a bien marché.

LL : Dans le futur tu chercherais à encore plus t’ouvrir à des collaborations ?

S : Si tu me fais feater avec mon feat de rêve let’s go, mais là mon but dans la musique c'est pas du tout de faire des feats et de m'ouvrir. Je ne pense pas à ça. Je pense vraiment à construire un truc sérieux, et que les gens viennent me voir pour ce truc sérieux, que j'ai un truc a apporté à ce qu’eux ils viennent dans mon univers ou que mon univers se transporte dans le leur. Je n’ai pas envie d'être ce mec des feats même si je respecte totalement ça. Quand j’en fais ça tue, c'est une bête de life, tu es tout le temps avec des gars en studio, sur les clips vous êtes pleins, c'est des bêtes d'expériences de vie. Quand je suis parti à Medellín avec Azuul c'était incroyable. Quand on est rentré on ne voulait pas se quitter, c'était le début du confinement, on a pris un appartement tous les deux pendant quatre mois on était comme des fous, on faisait du son. Ce sont les connexions comme ça que j'aime bien, vraiment humaines, au-delà du feat.

LL : Tu as collaboré deux fois avec S.Pri Noir, c’est quelque chose qui peut paraître assez étonnant. Comment vous vous êtes rencontré et quelle relation vous avez aujourd’hui ?

S : « Juicy » et « Hey Baby », qui est dans Restez Prince, ce sont deux sons qu'on a fait un même jour. Ils sortent avec un an de différence mais les deux ont été créés le même soir. S.Pri Noir je l’ai rencontré via ma cheffe de projet à l'époque, on a direct accroché. C'est un artiste que j'écoutais quand j'étais petit, et c'est un mec du 20ème, il n’habite pas loin de chez moi. Quand je l'ai invité il m'a direct dit « Let’s go, je te donne de la force je kiffe ce que tu fais ». Il m'a aussi rassuré dans mon parti pris. Je fonçais droit dans un truc et plein de gens n’étaient pas très sûr de là où j’allais, il m'a dit de me faire confiance. C’est comme avec mes potes que je peux aider avec mon peu d'expérience, mais avec dix/quinze ans d'expérience, c'est bon à prendre.

LL : On peut y voir quelque chose de symbolique parce que c’est le seul feat du projet et c’est quelqu’un qui est déjà bien installé dans le milieu.

S : Mais il ne serait pas connu j’aurais quand même fait le feat. Azuul Smith par exemple c'est un mec que j'écoutais quand j'étais petit. J'écoutais « Minuit Pile » je pétais ma tête, ça avait fait un petit buzz et après j'avais plus du tout entendu parler de ce gars. Un jour je réentends parler de lui, je lui envoie un message direct. Mais ça je le fais avec très peu de gens, parce que les deux font partie des personnes qui m'ont mis des claques, et qui m'ont mis des claques dans la vie par la suite, avec des bêtes de discussions, des trucs qui me font avancer et eux aussi peut-être.

LL : Certains t’affilient à la nouvelle scène émergente, la "new wave", et tu partages d’ailleurs une grande partie de ton public avec les artistes de cette scène. Tu te sens faire partie de ce mouvement ? Ou tu te sens dans ton coin ?

S : Oui plutôt. Ce n’est pas que je n’ai pas envie de faire partie de ce mouvement, parce qu’il y a des trucs que je kiffe mais je ne connais pas du tout leur ambition. Je connais leur musique, j'aime beaucoup, c'est cool, mais je crois qu’on n’est pas dans le même délire.

 Restez prince c'est rester dans l'aventure, rester héros et ne jamais s'assoir sur ses objectifs quand tu es arrivé à ce que tu devais arriver 

LL : Dans le titre de ce projet, Restez Prince, on sent qu'il y a une volonté de s'imposer, de prouver que tu n'es plus un rookie mais en même temps de montrer que tu es toujours jeune, prometteur et ambitieux. Comment tu l’interprètes ce titre toi ?

S : Comment je résumerais ce titre, ce n'est pas forcément par rapport au panorama des gens qu'il y a aujourd'hui, des jeunes gens qui font du son autour de moi ou qu'on voit en France en ce moment. Restez Prince ça reprend vraiment ce truc de l'aventure, c'est rester dans l'aventure, rester héros et ne jamais s'assoir sur ses objectifs quand tu es arrivé à ce que tu devais arriver. C'est toujours se donner des nouveaux objectifs pour pouvoir se lever le lendemain. Rester simple, rester jeune, rester humble.

LL : Avec ce titre et l’expression « Le coup du berger » que tu as aussi développé, on voit clairement qu’il y a un message dans cette mixtape.

S : De fou. Tu peux le lire de plusieurs façons. Tu peux le lire comme un message que j'envoie aux autres, un conseil, mais finalement ce n'est pas moi qui le donne parce que c'est un conseil que moi aussi je me rappelle tous les jours pour rester la meilleure version de moi-même et avancer serein dans mes baskets. A un moment ma carrière allait un peu dans tous les sens, parce que j'avais envie de faire plein de choses et que j'étais jeune. Je ne suis pas forcément l'artiste le plus entouré, je suis quelqu'un qui travaille beaucoup seul. « Rester prince » c'est un truc que je me rappelle pour garder une ligne directive sur ce que j'aime faire et sur ce que je veux faire. Avoir mon personnage sans me dénaturer, sans trop écouter ce qu'il y a autour, les gens de l’industrie qui peuvent te manger, même des gens qui travaillent avec toi vont dire que ce n'est pas comme ça que tu dois être, tu dois être beaucoup plus street, ou à l'inverse tu dois être beaucoup plus pop… je pense que je ne suis aucun des deux, je suis dans mon propre style.

Interview : Alxs
Photo de couverture : Adrelanine

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