Nusky & Vaati

19 avril 2023

Nous retrouvons Nusky et Vaati dans un café parisien avant de sortir parcourir le quartier pour prendre quelques photos. Le binôme, qui a fait son grand retour après cinq ans d’absence, nous a offert Nusky, Vaati & Friends en octobre 2022, un album de featurings qu’ils présentent comme un disque de pop, même s’ils préféreraient peut-être qu’on le qualifie tout simplement comme un disque de Nusky & Vaati. Nous amorçons la discussion en leur demandant simplement comme vont-ils, et à l’image de leur titre « Ça va » sorti l’été dernier, la réponse est loin d’être simple. Si leur dernier projet transpire la positivité, il n’en est pas pour autant un album complètement joyeux et nous présente de nombreuses nuances. Les deux artistes ont la complicité qu’on peut leur imaginer, à l’aise en interview comme en shooting, ils semblent sur la même longueur d’onde, chacun étant près à rebondir avec humour sur la réponse de l’autre ou à la compléter par son point de vue. C’est dans cette ambiance décontracté que nous avons pu revenir avec eux sur leur pause et leur retour, mais aussi sur leur dernier album, leur indépendance et leur style musical. Rencontre avec Nusky et Vaati.


La Loge : Nusky, Vaati & Friends a marqué votre retour en duo, est-ce qu’entre la sortie de Bluh en 2017 et celle de ce nouvel album il y a eu une période d’inactivité ou est-ce que vous avez continué à travailler ensemble mais sans ne rien sortir ?

Nusky : Ça ne s'est pratiquement jamais arrêté. La vision et le travail n'ont jamais vraiment lâchés. C'était difficile pour nous de gérer tout en même temps, de gérer notre arrivé dans le monde sérieux de la musique. On a aussi vite compris qu'on allait se manger de grosses désillusions ou des trucs qu’on n’avait pas prévu, et que le seul moyen de nous protéger c'était aussi d'attendre, c'était important pour notre intégrité je pense. On pouvait faire ce que l'on nous demandait de faire mais on n’avait pas la réponse de ce qu'on voulait vraiment faire, donc il fallait prendre le temps. On a peut-être pris un peu trop le temps, mais je pense que c'était nécessaire et quoi qu'il arrive on ne peut pas regretter ça.

Vous avez aussi chacun été actif de votre côté, vous ne craigniez pas que votre alchimie en duo ne soit plus la même ?

Nusky : Avant de rencontrer Vaati j'avais déjà sur d'autres projets, et lui avait déjà d'autres projets aussi. Quand on s'est unis et qu'on a fait un groupe ensemble, on s’est dit qu’on allait être sérieux là-dedans, mais l'idée n’a jamais été d’arrêter nos autres projets. Pour ma part, c’est un équilibre qui est même nécessaire. J'ai besoin de faire des trucs avec Vaati et de faire d'autre choses avec d'autre personnes, pour moi c'est important. Et dans notre mécanique de travail, c'est que de l'expérience et du bonus.

Vaati : J'ai l'impression qu'après cinq ans l'alchimie est toujours là. Au contraire même, on en fait plus, on a progressé chacun dans nos trucs.

Nusky : On est encore plus liés qu'avant, on partage plus de trucs à la création. Ça paraît ironique à dire mais je ne me suis jamais senti aussi fort dans ma carrière, au moment où je sais qu’on m'écoute beaucoup moins qu'à une certaine époque, alors que j'étais beaucoup plus frileux.

 Le seul moyen de nous protéger c'était aussi d'attendre. 

A quel moment vous vous êtes fixés comme objectif de revenir avec un album ?

Vaati : On n’a jamais vraiment arrêté de faire de la musique, donc l'album Nusky, Vaati & Friends on était déjà en train de le travailler il y a deux, trois ans.

Nusky : On est tout le temps en mode projet, quand on en sort un très souvent on est déjà sur celui d'après. C'est assez rare qu'on envisage notre musique à deux sans la mettre dans un projet. Après, le projet qu’on avait en tête il y a cinq ans ce n’est pas exactement celui qui est sorti. En fait avec l’idée de projet qu’on avait on en a fait deux, le premier c’est l’album de feats et le prochain arrive.

Comment est venue l'idée de ce concept d'album de feats ? Est-ce que c'était important aussi de revenir avec quelque chose de nouveau ?

Vaati : Je ne sais plus qui a eu l'idée mais au moment où on l'a eu on s'est dit qu’il fallait le faire, c'est trop marrant. Les feats c'est un truc qu’on n’avait jamais fait, on s'est dit que quitte à en faire un autant faire un album où on les fait tous d'un coup, tous ceux qu'on a envie de faire. On s’est dit que ça pourrait être drôle de faire des morceaux avec les artistes qu’on aime bien et de mettre tout le monde en mode chorale sur un album.

Nusky : Le côté amical et partage, c’est quelque chose qui nous plait dans la musique. Il y avait aussi un petit côté légitimité, nous on fait de la pop, on a toujours fait de la pop, et on a toujours fait du rap, je n’ai pas besoin de faire un feat avec je ne sais qui pour prouver que je suis un bon rappeur, mais si dans dix ans on regarde ce qu'il s'est passé dans le milieu de la pop française, je trouve ça intéressant qu'on soit connecté quelque part à ça.

Nusky & Vaati (photo)

Il y a tout de même cinq morceaux où vous êtes juste en duo sur l’album, comment vous avez réfléchis à ça ?

Vaati : Il y a plusieurs solutions qui ont été envisagées. On n’a pas eu assez de réponses favorables pour faire que des feats, mais on a aussi conscience que ne revenir qu'avec des feats ça peut être attrayant mais les gens peuvent aussi avoir envie de morceaux où c’est juste nous deux. Il fallait trouver un équilibre pour ne pas non plus en perdre certains.

Il y a des artistes que vous n’avez pas pu avoir ?

Nusky : Elton John, et franchement ça m'étonne un peu parce qu’il m'avait dit "Yes Raph", on est parti le voir dans son château à Birmingham, le gars nous accueille il était en train de jouer du flipper, je lui dis mec t'es sérieux, bon bref finalement ça ne s’est pas fait...[rire] Non en vrai ce n’est pas très poli de dire les noms.

Vaati : Les gens ont le droit de ne pas vouloir aussi, chacun fait ce qu'il veut. Mais oui on a demandé à pas mal de gens, et finalement ceux qui ont dit oui ce sont soit des amis soit des gens qui le sont devenus. C'est cool aussi de ne pas avoir à trop se battre pour faire un feat, on a essayé mais en fait quand tu dois envoyer trop de message et que ce n'est pas fluide, il vaut mieux ne pas le faire. Celui qui s'est fait le plus vite c'est celui avec Philippe Katerine, alors qu'on ne le connaissait pas personnellement avant. On avait vu une interview de lui dans laquelle il disait avoir bien aimé notre morceau « Aux souvenirs oubliés » donc on s’est permis de lui envoyer un message. Entre le moment où il y a eu un sms et le moment où le morceau s'est fini il y a eu quatre jours.

Pour annoncer l’album vous aviez sorti une vidéo dans laquelle vous cherchiez des financements et des collabs. On sentait que c'était la galère. A quel point cette vidéo est véridique et est-ce que ça a vraiment été un album compliqué à faire ?

Vaati : Elle est inspirée de faits réel et la réalité est un peu grossi pour la blague, mais oui on est sans label, sans manager, et là on s'en amuse. C'est aussi un choix de notre part d'être seuls et de nous organiser nous-même. Évidement qu'il y a un peu ce truc des gens qui sont moins sur nous parce que ça fait cinq ans qu’on est partis, que ce soient les médias ou les labels, mais on s'en amuse pour faire la blague. C'est inspiré de fait réel ça c'est sûr, on ne se cache pas du fait qu’on soit dans une nouvelle situation... économique. [rire]

Est-ce que l'indépendance c'est primordial pour vous ou c'est seulement une conséquence ?

Vaati : Un mélange des deux. A la base c'est plus une conséquence mais on la prend avec grand plaisir. On l’a fait de travailler avec Universal, la grande entreprise quoi, et ce n’est pas pour nous du tout, au moins on a testé.

Nusky : On a toujours su qu'on pouvait le faire artistiquement, mais moralement c'était autre chose, ça ne correspondait pas vraiment à nos valeurs.

Maintenant que vous êtes lancé en indé, votre but est de continuer comme ça ?

Vaati : Ouai carrément. On a créé un label et une société d'édition, on se débrouille pour nous organiser nous-même, on s'entoure d’amis pour faire des photos, moi j'ai commencé à faire des clips pour qu'on puisse tourner pour zéro euro avec ma vieille caméra, on s'en sort comme ça. Le but c'est d'être une machine indépendante, pour pouvoir faire de la musique sans délais et sans l'accord d'autre gens, ça c'est vraiment primordial pour nous. Là on arrive au point où on a mis tout en place pour pouvoir le faire, c'est assez cool et on compte effectivement rester comme ça.

 Dès que tu choisis de sortir un peu des cases c'est un pari que tu prends et il faut assumer. Nous on assume. 

Vous avez chacun une histoire liée au rap mais musicalement vous avez fait beaucoup d’autres choses. Le public et les médias ont toujours eu un peu de mal à vous cerner, vous êtes parfois trop rap pour certains mais aussi trop pop/variété pour d’autres. Quel regard vous avez sur votre style musical et sur la façon dont il est perçu ?

Vaati : Je pense que dans tous les pays et dans toutes les industries musicales on a besoin de cases, dès que tu choisis de sortir un peu de ça c'est un pari que tu prends et il faut assumer. Nous on assume.

Nusky : C’est vrai qu’on peut avoir un peu de rancœur par rapport à ça mais on n’y peut rien. A partir du moment où on fait de la musique comme nous on l'entend, quelque part ce n’est pas notre problème la façon dont elle est perçue, mais c’est vrai que ça peut nous retomber dessus. On a une approche assez mûre et spirituelle dans la musique, ce qu'on fait on est conscient que ça restera et que ça va avancer avec le temps, si ce n’est pas aujourd’hui c'est demain et si ce n’est pas demain ce sera après-demain. Moi dans la vie je crois au mérite et aux étoiles. Pour moi si on va dans la bonne direction et qu'on s'y tient, on aura ce qui nous manque même si sur le papier ça fait peur à tout le monde.

Vaati : Pour le coup le discours de cet album-là est quand même très clair, c’est un album de pop avec des invités.

Justement est-ce que ce style assez éloigné du rap est définitif ou est-ce qu’il y aura d’autres choses ?

Nusky : Oui il y a aura d’autres couleurs.

Vaati : On fait des nouvelles propositions tout le temps, même quand on sort des clips parfois on n’est pas sûr mais on propose, les chansons c'est pareil, on est au service des chansons qu'on fait les unes après les autres. Le fait de ne pas avoir fait du rap sur cet album on ne l’a pas fait exprès, ça s'est fait comme ça. Le côté binaire, soit on fait de la pop soit on fait du rap, nous on ne voit pas du tout le truc comme ça et on n’a vraiment pas envie de voir ça comme ça, on a envie de faire plus de choses.

Nusky : On a toujours été dans l'idée du concept, sans forcément faire des concepts albums, mais l'idée d’être cohérent par rapport à nous et à nos choix. Pour nous l'idée c'est toujours de se rapprocher de la meilleur tracklist par rapport à la proposition nouvelle qu'on veut faire. On s'ennuie au bout de trois morceaux pareils donc on a l'impression que c'est comme ça qu'on peut servir notre art, le mieux qu'on puisse faire c'est de faire des belles propositions à chaque fois et qui soient un tantinet différentes.

On pourrait penser que le fait de parcourir tous les genres va permettre de toucher tout le monde, mais étonnamment on dirait que les gens ne se sentent pas forcément être la cible. Est-ce que vous pensez que dès le début de votre carrière vous auriez dû annoncer clairement "On ne fait pas du rap" pour ne pas perdre les auditeur.rices ?

Vaati : A l'époque on se posait beaucoup moins la question, mais j’ai l’impression qu’on l’a dit quand même.

Nusky : Nous on est plus dans le "on le fait", les discours ce n'est pas vraiment notre truc, par contre on a montré directement au public qu'on avait aucune peur de changer de cap. C'est important que les gens qui nous suivent sachent qu’on fera toujours ça, depuis le début on ne s'en est jamais caché, on n’a jamais fait deux projets d'affilés qui ont la même couleur, on ne sait pas le faire. Pour nous c'est tellement évident qu'on n’a même pas besoin de l'expliquer.

Nusky & Vaati (photo)

Il y a aussi le fait que vous ayez chacun une carrière en solo dans laquelle vous proposer autre chose.

Nusky : Ce sont des propositions tellement différentes. Moi tout seul je me laisse porté par le vent, il n’y a rien de précis. Alors qu’avec Vaati on sait ce qu'on fait, on sait ce qu'on veut faire, on est toujours dans le futur, dans les plans, dans les prévisions. On a plus d'idée de carrière en duo, on sait qu'on a un truc ensemble qui fait qu'on peut faire une carrière ensemble, et on s'y tient. Après pour moi dans ma carrière solo c'est trop important que tout se réponde. Un des mecs que j'aime le plus dans la musique moderne c'est Julian Casablanca, il le fait à merveille. Il a plusieurs groupes, chacun a son niveau de popularité et chacun touche des gens différents. Mais être tout seul ça n’a jamais été ma démarche, alors que je suis rappeur donc j'aurais pu l’être.

Justement comment fonctionne votre binôme ? Vous êtes un duo interprète/compositeur mais à quel point chacun est investi dans la discipline de l’autre ?

Vaati : Ça a évolué avec le temps. Au début on faisait le truc assez classique, je fais la prod et il écrit. Et en fait Nusky est compositeur aussi, donc il participe plus à la musique qu'avant, et moi inversement au texte, on écrit beaucoup plus à deux. Il y a toujours une constante c'est d'être dans la même pièce, on fait très rarement des trucs à distance alors que portant on habite loin, mais on attend de se voir.

Nusky : On a assumé plus de truc dans la création à deux, je mets un peu plus mon nez dans la compo.

Vaati : Par exemple la structure ça vient souvent de Nusky, c'est moi qui le fais à l'ordi mais l'idée vient plus souvent de lui.

Vous avez fonctionné pareil pour les featurings ?

Vaati : Il y a eu plein de cas différents, Pépite c'est un duo chanteur/compositeur donc on a composé avec eux en studio, David Numwami il a fait la prod devant nous… Il y a vraiment tous les formats.

Nusky : Notre vrai kiffe c'est de le faire avec les gens mais quand ça ne pouvait pas se faire ce n’est pas grave c'était super aussi. Pour nous c'est quand même important le côté partage, et au-delà du partage le côté humain et organique.

Nusky & Vaati (photo)

Ça fait presque dix ans que vous êtes dans la musique, quel bilan vous faites de votre carrière, en solo comme en duo ?

Nusky : Les constats sont un peu les mêmes, il y a toujours une envie d'aller plus loin et en même temps une grosse fierté, pour ma part en tout cas. Je suis grave fier de tout ce que j'ai accompli et de ce qu'on a accomplie ensemble, j'ai tendance à l'oublier, mais en fait c'est énorme ce qu'on a fait. Mais on n’a pas perdu la flamme, on veut toujours aller plus loin donc l'idée du bilan fait un peu peur, ça voudrait dire que c'est la fin et ça ne l’est pas du tout.

C’est peut-être la fin d’une période, celle des années 2010, en tout cas avec cet album vous passez à une nouvelle étape. En 2015 Swuh a été important pour pas mal de personnes, quel regard vous portez sur l’impact que vous avez pu avoir à ce moment-là ?

Nusky : Je pense qu'on a quand même eu une importance pour la scène française. On était qui on était, on n’a pas vendu des millions de CD, on a pas fait un Bercy mais on a eu un succès d'estime et c'est pour ça que je suis fier de ce qu'on a fait. On a continué à avancer, et on a observé qu’effectivement il y a un truc qui s'était créé avec nous et d’autres gens qui étaient dans les mêmes moods. Après on n’est pas des génies, ce n’est pas nous qui avons cassé les portes, mais quand même s’il faut faire des petits bilans j'espère qu'on nous jettera des fleurs au moment où il faudra le faire.

Vaati : Moi je préfère juste de l'argent, ça m'intéresse plus ! [rires]

Nusky : J'avoue que si on meurt et qu'il peut y avoir de l'oseille sur le compte de mes enfants je serais content.

Vous avez parlé d'un nouvel album en duo, est-ce que c'est la suite de Nusky, Vaati & Friends ?

Vaati : Non ça c'est fini. On s'est dit qu’on n’avait jamais fait de feat alors faisons-le une bonne fois pour toutes, on ne se ferme pas la porte pour le futur mais en tout cas l'album de feats on l'aura fait. Mais c'est vrai que « Nusky, Vaati & Friends partie 2 » ça pourrait être drôle un jour. Dans le nouvel album il n’y a pas de featuring, c'est une couleur encore différente. Les sons sont finis depuis pas mal de temps, pendant la pause on a fait trop de musique et c’est long de tout sortir. Il faut qu'on sorte la musique pour pouvoir en faire de la nouvelle et arrêter d'avoir un délai entre le moment où on fait les chansons et le moment où elles sortent.

Nusky : Ce qu'il faut savoir sur notre duo Nusky & Vaati c'est qu'aujourd'hui on a les moyens de faire ce qu'on veut, comme on veut, quand on veut, ce qui n'était pas le cas il y a quelques années. On va continuer à faire ça, je touche du bois pour qu'il n’y ait pas de problème mais c'est bien parti en tout cas.

Interview : Alxs
Photos : Anaïs Ahamada

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