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Lord Esperanza

12 décembre 2018

Nous sommes partis à la rencontre de Lord Esperanza ce vendredi 7 décembre avant son concert à La Vapeur pour lui poser quelques questions sur sa musique, ses projets, son entourage...


La Loge : En préparant l’interview on a vu que tu faisais très peu d’apparitions vidéo pour tes interviews, on t’a vu sur quelques médias télé mais pas sur des médias plus traditionnels pour les rappeurs. Pourquoi ce choix ?

Lord Esperanza : Parce que je n’étais pas trop à l’aise. Je prépare mon premier album donc là je vais en faire. Je n’étais pas trop à l’aise et j’avais envie de laisser ma musique parler. Le truc aussi c’est que j’ai pour habitude de m’exprimer assez bien avec de jolis mots et je n’arrivais pas à trouver un juste milieu, parce qu’avec mes potes je parle de manière assez soutenue. Je voudrais rester moi-même tout en étant plus accessible, parce que si tu utilises tout le temps des mots compliqués, les gens pensent que tu fais juste l’intello, et c’est chiant. Avant je voulais trop faire attention à ce que toutes les phrases soient belles, toutes les idées soient bien développées et du coup j’étais trop stressé. Alors que maintenant justement, je prends du recul et je me dis "cool on kiffe on est jeune". Donc voilà c’était pour ça, je n’étais pas à l’aise et maintenant ça va mieux.

LL : On peut remarquer que tu accordes pas mal d’importance à l’image / l’esthétique en général, que ce soit avec tes clips ou même sur instagram. Comment expliques-tu cela ?

LE : Je pense que c’est important en 2018, bientôt 2019. La musique se regarde autant qu’elle s’écoute et les gens sont d’abord portés sur les réseaux sociaux. Aujourd’hui on est d’abord nos propres médias avant les autres médias qui nous relaient et du coup je pense que c’est important de faire attention à notre image. Le premier reflet de notre musique c’est les réseaux sociaux. J’aime bien faire attention à ce que je renvoie, je n’ai pas envie de renvoyer une image négative, j’ai envie de paraître qui je suis donc j’essaie d’être un peu carré à ce niveau-là. Pour instagram j’ai la chance de bosser avec une très bonne amie à moi qui s’appelle Images Eclectic, qui est super talentueuse, elle fait tout un travail en triptyque. Elle m’a proposé l’idée, moi je trouvais ça grave cool et je trouvais que ça changeait un peu dans le paysage du rap français vu qu’il y a beaucoup de rappeurs qui, sur instagram, sont souvent un peu pareil ; en gros il y a la vidéo du clip, la photo pour telle chose, etc. Elle, elle m’a vraiment amené vers un truc beaucoup plus artistique.

LL : Justement on voit que tu traines avec pas mal de personnes différentes comme des rappeurs, des beatmakers, des clipmakers ou d’autres artistes comme celle que tu viens de citer. Qu’est-ce que ça t’apporte d’avoir toute cette diversité d’artistes qui t’entoure ?

LE : Je pense que c’est comme dans toute professions, ça permet d’échanger avec les gens, d’apprendre de l’autre. C’est des gens qui ont tellement des visions différentes que forcement les résultats en sont atterrés, et du coup c’est cool de bosser avec ces gens-là. Et c’est pour ça que j’essaie aussi le plus possible de les mettre en lumières à travers plusieurs concepts. J’avais fait un truc qui s’appelait #LordEsperanzaDansTaVille, c’était pour mettre en lumière un réalisateur de chaque ville, après on avait fait voter la fan base et le réalisateur qui a gagné s’est vu remettre un budget pour réaliser un clip. C’est important pour moi de faire ça. On a créé aussi un concept qui s’appelle Talent caché. Tous les premiers du mois sur ma page facebook je mets un post, avant je mettais juste une photo avec un texte maintenant j’essaie de faire des petites vidéos, qui présente un nouvel artiste. Par exemple ça peut être Mims, ou Majeur Mineur, ou ça peut être le compte instagram d’un peintre. C’est assez spontané. C’est important pour moi de les mettre en lumière et ça m’apporte tout parce que je ne suis rien sans eux, on est complémentaire. Moi j’arrive avec certaines idées, eux aussi, on les mélange. Je pense qu'un plus un fait trois.

LL : D’ailleurs dans tes interviews tu dis souvent que ton but c’est de créer quelque chose de positif avec ta musique. Donc là avec ces artistes tu essaies de leur donner du positif c’est ça ?

LE : Ouais, je trouve ça important. Après parfois mes textes sont obscurs, mélancoliques, revendicateurs, parce que je suis un être humain. Je suis régi par mes émotions qui divergent. Le matin tu te lèves, tu es un peu heureux, tu vas voir tes potes, tu vas en cours c’est cool, ça t’intéresse ; l’après-midi il y a un truc relou qui se passe, tu apprends une mauvaise nouvelle et du coup ton émotion change, elle varie, et ça c’est ma musique. Mais à travers mon blaze Lord Esperanza il y a quand même un message d’espoir. J’ai compris que je voulais vraiment donner ça aux gens quand j’ai vu l’impact que je pouvais avoir à mon humble échelle. Il y a quelqu’un qui m’a envoyé un message pour me dire que grâce à ma musique il a écrit un scénario et il est en train de réaliser son film juste parce qu’il a écouté « Oh Lord » et « Noir » en boucle. Je me dis que c’est ouf et j’ai du mal à comprendre comment c’est possible. Il y a d’autres gens qui me disent des trucs assez touchants, comme quoi ils ont eu envie de se suicider et que ma musique les avait aidés à tenir. Donc je me dis que j’ai un rôle beaucoup plus profond dans la vie des gens que ce que je pensais. Parfois je reçois des messages, des témoignages de gens qui me touchent, et ça me fait peur. Après franchement je suis un petit con, je fais des sons égotrips et je fais des trucs un peu bêtes et méchants. Mais par exemple, là dans mon album que je suis en train de faire, il y en a quasiment plus. Il y en aura toujours un peu parce que j’aime ça et que c’est cool de temps en temps, mais je trouve que c’est ce qui vieillit le moins bien. Il y a déjà des morceaux que j’ai fait qui sont… déjà je ne réécoute pas mes morceaux mais en plus de ça s'il y a un pote qui le met ça va plus me mettre mal à l’aise qu’autre chose.

LL : Sinon il y a quelques mois tu as créé ton label Paramour. Comment ça se passe depuis ?

LE : Ça avance très bien, je suis grave content. On a signé deux artistes, on va les développer. Là on a fait beaucoup de sons, on a à peu près 15/20 sons chacun, on crée encore un peu de matière. De sûr 2019 on va sortir les premiers trucs. Je suis grave content, il y a que des bonnes nouvelles. A chaque fois que je fais écouter à droite et à gauche, on me dit que c’est cool. J’ai reçu des offres d’autres labels pour faire des coproductions, il y a des gros médias influents qui m’ont déjà envoyé des mails pour savoir s'ils pouvaient écouter. Il y a un de ces deux artistes qui fait ma première partie dans plusieurs concerts et une salle de concert a adoré du coup ils veulent se proposer pour l’accompagner artistiquement. Je t’avoue que si tu m’avais demandé il y a deux semaines je t’aurais juste dit que tout va bien, qu’on avance doucement. Là en deux semaines il s’est passé plein de trucs. Dans le milieu professionnel de l’industrie on me fait plus confiance, je pense que du coup j’ai un tout petit peu plus de légitimité à leurs yeux. Un gars de Sony m’a appelé en direct pour me dire qu’il avait écouté, et j’étais choqué. Bref je ne vais pas raconter ma vie mais c’est lourd, Paramour c’est lourd. C’est une belle aventure humaine, et en plus on fait ça en famille. C’est toujours mon ingénieur du son qui bosse ça, je fais les mix avec lui, je donne deux/trois conseils, c’est mes gars qui vont faire les clips et les photos aussi. On reste vraiment dans un circuit fermé. Après il y a toujours des collabs, parce que c’est bien de pouvoir s’ouvrir mais pour l’instant on a la chance de pouvoir s’auto-suffire.

LL : Ton but avec les artistes que tu signes c’est de les accompagner un petit temps et après de les lâcher ou plutôt de créer un truc sur le long terme ?

LE : Plutôt de créer des carrières, idéalement. Ce serait un peu frustrant de tout mettre en place et qu’après un autre vienne récupérer tout le travail effectué. Le but ce serait de créer des carrières. C’est un autre challenge parce que c’est un rôle de l’ombre, t’es pas dans la lumière, et j’aime bien ça aussi. C’est nouveau pour moi mais j’aime autant. Ce soir je suis sur scène, je suis trop content, je vais trop kiffer, mais la semaine prochaine j’aimerais autant aller en rendez-vous, défendre mon artiste, etc. C’est un autre métier mais j’apprends doucement. Après c’est très compliqué, il y a beaucoup d’administratif, de juridique qu’il faut savoir maîtriser, mais comme je te disais, j’ai vraiment la chance d’être bien entouré. Baptiste, qui est mon ingénieur du son et qui fait tout le son de la scène, va aussi faire le son de mes artistes. Je lui ai fait écouter les sons des artistes Paramour il m’a dit qu’il kiffait trop, du coup il s’est proposé de faire gratuitement ses sons pendant les premières parties avant que je joue alors qu’il pourrait être avec nous en backstage et attendre que l’ingé son de la salle fasse le son. Mais non, il a envie de le faire et ça me touche. Donc c’est vraiment en famille.

LL : Dernièrement tu as sorti un morceau avec FouKi. Comment l’as-tu rencontré ?

LE : Sur instagram. C’est un bon ami à moi qui m’en a parlé vu que j’allais à Montréal. De là-bas je connaissais que Loud, alors on m’a fait écouter FouKi et j’ai grave kiffé donc on s’est rencontré vachement simplement. Je lui avais envoyé le morceau en amont, et Mims a réalisé le clip en deux jours. C’était super spontané et j’ai grave kiffé cette expérience. C’était trop bien, on était à Montréal en plus, on connaissait pas du tout le Québec donc on en gardera des souvenirs. Puis on était en tournée là-bas, on a joué à Montréal, à Québec, on a joué à New York aussi, c’était ouf.

LL : Sur Polaroid tu étais allé chercher Roméo Elvis, là c’est avec Fouki, donc logiquement le prochain est suisse ?

LE : Roméo il donnait plein de force depuis longtemps, du coup le feat c’était la suite logique. FouKi c’était dans le principe de #LordEsperanzaDansTaVille mais à l’international. Je l’ai fait aussi avec une rappeuse mexicaine et on l’a aussi fait avec un chanteur à New York. On a fait un clip là aussi dans chaque ville où on est passé. Et le prochain feat normalement il est français.

LL : Tu as sorti pas mal de projets ces dernières années. Comment expliques-tu cette productivité ?

LE : Pendant longtemps j’avais l’impression que si je ne sortais pas des sons, les gens allaient m’oublier et j’ai eu peur. Ce monde et cette industrie où tout va si vite, ça fait peur. Des rappeurs sont tendances puis six mois après tu n’en entends plus parler. Je disais ça en parlant des artistes Paramour. Créer une carrière c’est compliqué dans un monde où tout est régi par le stream, par les vues youtube, etc. J’avais très peur de ne pas y arriver, et j’ai toujours très peur, on en parlait encore à midi. Même si dans certains morceaux j’essaie de pousser les gens à croire en eux, je manque terriblement de confiance en moi. J’essaie de palier à ça avec une productivité maximale qui pour le coup va s’éteindre doucement parce qu’on va sortir le premier album, on a vraiment tout focalisé là-dessus, on va le sortir début 2019 et après on va le défendre longtemps parce que j’ai l’impression que c’est ce que j’ai pu faire de plus abouti pour l’instant.

LL : Quelles vont être les nouveautés dans ce premier album ?

LE : Je parle beaucoup plus de moi. Chose que je ne faisais pas trop avant. J’en parlais mais toujours de manière implicite, toujours des phrases un peu poétiques mais qui ne voulaient pas dire grand-chose. Je parle plus de moi, je parle de mes craintes, de mes histoires d’amour, de mon père, sujet délicat. Après il y a quand même des chansons un peu plus légères. Ce que j’ai fait contrairement à avant c’est qu’à chaque chanson je me suis dit qu’il fallait qu’à la fin, l’auditeur puisse se dire que j’ai voulu parler de telle chose. Par exemple, « Le temps des graviers » c’était sur l’enfance. Je ne peux pas te donner les titres mais il y a plusieurs chansons où juste avec le titre tu comprends de quoi ça va parler. Il y a aussi des trucs un peu imagés et quand tu écoutes la chanson tu comprends. C’est les artistes de variété qui m’ont inspiré ça. Quand j’ai réécouté Brel, Brassens et récemment Lomepal et Eddy de Pretto. Surtout Eddy de Pretto, je trouve qu’il m’a beaucoup inspiré pour ça. « Kid » c’est sur la virilité abusive, son enfance, son rapport à son père, son homosexualité ; « Fête de trop » c’est sur un mec qui a pris trop de coke etc. J’ai trouvé ça vachement fort d’avoir des thématiques fortes par chanson. Et il y a Stromae, lui c’est l’exemple parfait. Toujours de manière imagée, « Moules frites » c’est sur les maladies sexuellement transmissibles, « Formidable » c’est une histoire d’amour mais il y a aussi une paronomase entre formidable / fort minable ; « Quand c’est » c’est dedans, on l’entend tout de suite. J’ai trouvé ça trop profond et je me suis dit que j’avais vraiment envie de transmettre aux gens des thématiques universelles que je m’approprierais.

LL : Quel bilan tu fais de ton début de carrière pour l’instant ?

LE : Je ne considère même pas avoir un début de carrière, parce que les gens qui m’inspirent, les exemples que je prends, mes idoles, qui j’espère deviendront un jour des concurrents, sont tellement loin dans ce qu’ils accomplissent, dans l’utilisation de leur notoriété aussi. Damso en ce moment je trouve qu’il est trop inspirant. Récemment j’ai vu qu’il avait créé une radio, il demande à tous les jeunes artistes d’envoyer leurs sons, il va tout écouter, il va en mettre en lumière certain ; il est allé au Congo et il a ensuite décidé de créer un orphelinat. C’est ça aussi que je trouve beau. Il y a eu aussi la Love Army de Jérome Jarre et de plein de youtubeurs. Ils utilisent leur notoriété pour faire passer des messages, pour lever des fonds, ils ont récolté un million d’euros en 24 heures. Et ça, ça m’inspire. Donc pour revenir à ta question, je pense que tout reste à faire. Je suis trop content parce que je vis de ma musique et ça c’est une chance qui est donnée à peu de gens. Je me dis souvent que si tout s’arrête demain, j’aurais inévitablement des regrets parce que j’aimerais aller plus loin et je pense que toute personne qui veut à un moment se lancer dans la musique ou dans l’art le fait pour toucher des gens, par forcement le plus grand nombre mais déjà toucher les gens au sens propre avec les messages que l’on reçoit qui sont vachement touchants, et en même temps je me dirais que c’est bon c’est déjà ouf, ce soir on est en concert à Dijon alors que je suis jamais venu à Dijon de ma vie. Il y a des gens qui ont écouté ma musique en amont, qui viennent me voir dans la loge avant le concert et qui me posent des questions, et pour ça je vous remercie parce que le rêve est constant. Après je me pose trop de questions, je me retourne trop l’esprit, je n’arrive pas à comprendre la simplicité. Le succès c’est flippant, ça me fait peur. Je ne vis pas le même succès que celui des personnes qui m’inspirent mais ce que je vis à mon échelle me fait parfois peur. J’ai envie d’être demain, quand l’album sera sorti, quand, j’espère, on aura eu une vraie résonance, rempli des salles de concerts, etc. Tout ça me fait rêver. Mais paradoxalement j’ai pas du tout envie de ça, c’est trop bizarre. Mais c’est l’être humain, on veut une chose et son contraire. Je crois.

Interview : Alxs

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