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Jeune Austin

26 juin 2021

Strasbourg, un après-midi de mai, l’heure est à la levée des restrictions sanitaires, l’ambiance est posée : les beaux jours sont de retour. C’est dans ce cadre paisible que l’on a pu rencontrer Jeune Austin, sur la terrasse d’un café de la capitale alsacienne. Alors que son EP 720p sortait quelques jours plus tard, nous avons pu prendre le temps de parler avec lui de ce nouveau projet, de sa musique en général, de son entourage mais aussi de son rapport à sa ville.


La Loge : Là où tu étais plus nostalgique sur le projet précédent, je t’ai trouvé beaucoup plus tourné vers l’avenir dans ce nouveau projet. Au-delà de ça, j’ai l’impression que 720p a été plus pensé comme un projet, avec une vraie cohérence.

Jeune Austin : Oui c’est l’ambition qui parle. On est plein avec mon équipe et on va faire ce qu’on a à faire. En vrai on a enchaîné, on a sorti 480p en décembre, et en janvier on était en séminaire en train d’enregistrer le nouveau projet, parce qu’on avait déjà l’envie de refaire du son. Là je suis déjà en train de préparer des nouveaux sons et c’est plus de pression, plus de poids sur les épaules parce que comme je disais on a des ambitions et on a envie de réussir. On a un peu plus réfléchi à ce projet-là, et c’était un peu plus le souhait d’amener une évolution, de montrer qu’on savait faire plusieurs choses. Il y a des sons qui étaient déjà là depuis quelques temps et qu’on a retravaillés pour leur donner une couleur. On s’est vraiment cassé la tête à faire des trucs différents tout en aillant une ligne directrice, que ce soit au niveau des mixes, des textes ou des prods il y a des petits trucs qui reviennent. On a essayé de garder la direction de 480p, mais sous un autre angle.

LL : D’ailleurs, 480p sonnait plus minimaliste, plus lo-fi, alors qu’ici on entend plus de rock, avec des moments assez énervés. On sent ce nouveau projet plus touche-à-tout, avec encore plus d’éléments qu’avant. C’est quelque chose que vous avez cherché ou ça s’est fait naturellement ?

JA : Clairement c’est une envie. Déjà sur 480p il y a « Silhouette » et « Pas les mots » avec cette ambiance très rock. Cette DA ça fait longtemps qu’on l’a, moi par les influences par mon père ou Kan-G qui a été influencé de fou par le rock en étant plus jeune. On se comprend sur la musique et il n’y a pas de barrière. Moi ça me fait carrément plaisir quand j’écoute le son et qu’il y a un solo de guitare. J’ai l’impression de manger un son de rock que mon père me faisait écouter quand j’avais dix piges et que je ne comprenais pas ce que c’était. Maintenant je les comprends, j’ai les poils qui se dressent, j’ai des frissons et je me dis que ça c’est de la musique. C’est très important de réussir à faire de la musique qui nous plait en reprenant des influences, des choses qui nous ont touchés dans notre jeunesse. Plutôt que d’essayer d’être dans un genre, on essaye de s’affranchir des codes, on reprend nos influences les plus fortes mais on ne s’approprie pas un genre en particulier. Pendant le séminaire on a enregistré « Défi », « Catharsis » et « Big Team », les trois premiers sons. « Défi » c’est un son que j’avais écrit pendant que 480p sortait, et « Blocka » un peu avant même. Ce n’est pas volontaire, je ne me suis pas dit que j’allais faire des sons pour un projet, c’est plus vers la fin, quand on est arrivé à une dizaine de sons et qu’on faisait le tri, qu’on s’est dit qu’on allait faire un son pour le mettre dans le projet, comme « Noche » par exemple. On faisait du son pour faire du son et si un morceau était bien, on adaptait un peu la playlist, pour donner le meilleur projet qu’on puisse donner, ce qui nous parle le plus, ce qui nous représente le plus, là où il y a le plus nos influences. On se laisse kiffer, on se laisse porter. Je ne pensais pas dire ça un jour mais je me considère vraiment comme un artiste maintenant et ce n’était pas le cas avant, je me considérais plus comme un gars qui faisait du son, comme un rappeur. Mais là je me considère comme un artiste parce que vraiment je m’exprime, j’essaye de laisser une empreinte et ça peu importe la façon, peu importe sur quoi. C’est mon esprit à moi, mais c’est aussi l’esprit de l’équipe.

LL : Tu laisses beaucoup de place aux prods dans ce projet. On entend des vraies guitares, des vrais pianos… d’ailleurs il y a un solo de guitare de Kan-G sur « Défis ». C’est important pour toi d’avoir de vrais instruments dans tes prods ?

JA : On est en train d’essayer de plus en plus de faire passer ça en amont. « Souvenirs » on avait commencé à le composer avec des œufs genre maracas, avec un xylophone, c’est vraiment parti d’une conception musicale. Quand j’ai rencontré Kan-G il faisait des samples, il secouait des sachets de yum-yum et il faisait des prods avec ça, avec un briquet, avec le bruit d’une clope qui s’allume. Dans le futur on a envie d’enregistrer avec des vrais instruments, des orchestres, des batteries. Parce que Kan-G c’est un artiste, c’est un musicien à part entière. Et c’est vraiment plus profond quand tu as des vrais instruments, rien que sur « Blocka » le piano d’Augustin Charnet, tu le sens quand c’est quelque chose qui est jouée, que c’est un musicien qui joue, personne pourra remplacer ça, même un excellent beatmaker, il va te faire une loop de 5 notes de piano, 4 accords plaqués, ça sera beau mais ça n’aura rien à voir parce qu’il n’y a pas la même émotion. Là on est en train de voir pour enregistrer du violon, et du saxo. On a un pote qui joue de la basse, un pote qui joue de la batterie. On voudrait enregistrer de la trompette aussi, peut-être de l’accordéon. C’est ce type d’idée là qu’on aime, on veut sampler nos propres trucs.

LL : Kan-G a fait pas mal de coprods sur ce projet là (avec Shkyd, Elyo, Augustin Charnet, Fensh). C’est lui qui est allé chercher ça seul ou tu as aussi donné cette impulsion ?

JA : Kan-G comme moi on sait que la musique c’est un partage, on sait faire de belles choses mais y en a d’autres qui savent faire d’autres choses très intéressantes aussi. Lui c’était une volonté qu’il avait déjà, et moi je l’ai un peu poussé car je peux poser sur tout type de prod, j’aime bien la musique en général et je ne me mets pas de barrière. Sur 480p on avait beaucoup de retours de gens du milieu qui étaient tombés sur le projet. Augustin était tombé sur « Silhouette », il m’avait fait des supers retours. Pareil à Kan-G il lui avait fait des compliments sur la prod et sur le mix. Du coup ils ont connecté, et ont commencé à produire ensemble. C’était une envie qu’on partageait avec Kan-G de bosser avec d’autres gens et de s’ouvrir un petit peu, parce qu’on savait que c’était nécessaire de partager la musique.

LL : Donc c’est un truc qui t’intéresse, même à l’avenir de t’ouvrir encore plus, de te connecter avec d’autres artistes ?

JA : Je ne suis pas du tout fermé quand l’occasion se présente. Après je n’ai pas envie de faire du son avec n’importe qui non plus. Si humainement ça me plait, et si musicalement je vois que c’est cohérent, j’y vais et je le fais, c’est un plaisir. La musique c’est un partage comme on le disait avant, je ne suis pas là pour faire du son tout seul dans mon coin toute ma vie. En fait tu es obligé de bosser avec d’autres personnes, je ne suis pas surhumain, je pourrais rester dans mon coin mais en vrai tu as besoin de te connecter avec des gens, même si derrière tu ne fais pas un son qui va sortir. La collaboration je crois que c’est essentiel pour chaque artiste, peu importe dans quoi c’est, on a beaucoup à apprendre des autres de manière générale.

LL : Dans « Big Team » tu dis que tu le fais pour ta mif, pour ta team. A quel point c’est quelque chose d’important pour toi ?

JA : Ma famille c’est mon équipe, mon équipe c’est ma famille. C’est à dire que ma famille connaît mon équipe, et les membres de la team ils viennent à la maison quand ils veulent c’est normal c’est la famille quoi (rires). Genre « Noche » je l’ai tourné chez mon oncle, c’est grave familial de manière générale. Et oui c’est important que mon équipe soit comme ma famille, qu’on se fasse confiance, qu’on avance dans le même sens, qu’on soit tous ensemble à viser la même chose, le même but. Je suis la vitrine de tout ça mais on travaille tous autant.

LL : Donc ta « vraie » famille écoute ce que tu fais ?

JA : Ouais ma mère est au taquet derrière, mon père aussi, il le dit moins mais il regarde aussi en scred. C’est pour ça que j’ai envie de faire passer un message, je n’ai pas envie de dire de la merde, ou de faire du son juste pour faire du son et avoir la fame. Je ne ferais pas de la musique et je ne serais pas un artiste sans ma famille. J’ai des sœurs qui m’ont beaucoup influencé dans la musique, ma mère chante aussi, mon père écoute beaucoup de musique et c’est ce qui m’a construit musicalement je pense. C’est pour ça que c’est important d’avoir leurs avis. Au début c’était compliqué pour mes parents de comprendre mon envie de faire de la musique et de vouloir vivre de ça, parce que ce n’est pas quelque chose de palpable. Donc c’est important de réussir pour eux parce que ça serait une fierté pour moi de leur renvoyer l'ascenseur.

LL : Tu es assez proche d’Hiba ou encore de Sonbest, qui sont des artistes de Strasbourg et d’Alsace en général. C’est important pour toi de revendiquer cette région de la France et de pouvoir connecter avec des artistes d’ici ?

JA : Pour moi, comme pour toute l’équipe je pense, c’est le fait de venir d’un endroit excentré, où c’est compliqué de se faire remarquer donc on est fier de ca. Être de province te donne moins de visibilité, c’est normal, je pense, si on arrive à faire quelque chose de bien, il faut qu’on le revendique parce que c’est encore plus de taff. Même si je vais aller faire mon biz à Paris, pour moi c’est important de dire que je viens d’ici, là ou je me suis construit, là ou j’ai commencé. Ici y a du potentiel, si ça peut servir à d’autres artistes, si on peut mettre la lumière sur Strasbourg il faut le faire. C’est une ambition sur le long terme de réussir à créer quelque chose ici, de mettre un noyau dur à Strasbourg, que des gens puissent se développer ici sans avoir besoin d’aller à Paris pour aller chercher des majors ou des labels. Je pense qu’il faut savoir d’où l’on vient si on veut aller quelque part.

LL : Dans « Défis », le premier son du projet, tu te demandes si ça vaut la peine d’être fait. Donc si tu fais le bilan aujourd’hui, est-ce que ça vaut la peine de le faire ?

JA : Je me questionne encore, parce que c’est une question vaste, c’est par rapport à mon art déjà : est-ce que ça sert à quelque chose que je le fasse ou est-ce que je resterai incompris ? Est-ce que ça vaut la peine de faire tout ça et pourquoi je le fais, ça peut être interprété de 10 milles façon, je ne sais pas si ça en vaut la peine, si ça rend fier les miens, c’est du doute. Mais je pense que c'est normal dans la musique, surtout si tu as des ambitions. Y a des moments où t’es super content et tout se passe bien, y a des moments où tu doutes. Mais pour moi c’était aussi important de le dire, car c’est mon état d’esprit, je me remets souvent en question c’est essentiel pour avancer. Je me livre beaucoup dans ce projet, il est très introspectif. Sur 480p je m’étais livré, mais là je pense que c’est encore plus poussé, les prods s’y prêtent parfaitement, c’est beaucoup plus profond.

Interview : Toinan

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