Après des sorties peu nombreuses ces dernières semaines, le mois de septembre annonce la reprise active pour le rap français avec un calendrier déjà bien rempli qui ne peut que nous ravir. Pourtant on ne peut s’empêcher de penser à la fin de la période des festivals, des longues soirées chaudes et des autres plaisirs de la saison estivale, car si l’été n’est pas encore officiellement terminé, les vacances sont finies pour la plupart d’entre nous et les hits ensoleillés et entraînants ne retrouveront leur vraie saveur que l’année prochaine.
Qu’importe le genre de musique que l’on écoute, les saisons jouent un rôle (au moins inconscient) dans notre façon d’apprécier un morceau ou un album. Avec sa délicatesse, son élégance et son esthétique presque onirique, le premier album de Myth Syzer, Bisous, dont l’amour est au cœur de chacun des titres, est très clairement un projet idéal pour les premiers beaux jours de l’année alors que sa suite, Bisous Mortels, a une couleur plus sombre, est bien plus marquée rap et ne saurait donc être appréciée de la même manière en étant écoutée dans les mêmes conditions. Chaque disque se ressent différemment en fonction de la période de l’année à laquelle il est écouté.
Alors qu’écouter à la rentrée ? Les concerts en extérieur vont se faire de plus en plus rares, les jours se raccourcir, le temps se refroidir et le ciel se griser. Fini les clips au bord des piscines et retour à une esthétique plus sombre, peut-être moins idyllique mais plus réelle. L’arrivée de l’automne marque souvent le retour d’une certaine envie de kicker chez les artistes, de troquer les mélodies entêtantes contre des rythmiques plus percutantes et plus dures. Si certains albums permettent de faire cette transition vers d’autres types de sonorités, les styles qu’ils proposent peuvent être trop variés pour correspondre exactement à la période actuelle. C’est notamment le cas d’Imany, le premier album de Dinos qui parvient brillament à parcourir de nombreuses ambiances différentes tout en gardant une vraie cohérence, et qui par conséquent peut s’écouter dans à peu près n’importe quelles circonstances. Dans cet article nous voulons vous présenter des projets plus binaires, des projets qui parviennent à mélanger de véritables morceaux d’été, festifs et ensoleillés, avec des ambiances bien plus sombres, plus sérieuses, comme si les morceaux les plus agressifs du début de carrière d’Ichon étaient réunis en un seul disque avec les plus joyeux de son album Pour de vrai, à l’image de « Jodeci Mob » d’Hamza qui est à l’opposé de la couleur des autres titres de son album 1994. Focus sur des projets idéaux pour accompagner cette rentrée.
Les # de Gros Mo
Gros Mo
Sorti en octobre 2016, le deuxième projet de Gros Mo illustre magnifiquement bien la fin de l’été et la transition vers un autre genre de météo. Les dix titres peuvent très facilement se séparer en deux catégories : d’une part les morceaux très rappés, aux sonorités trap et à l’ambiance plutôt obscure où le rappeur est incisif autant dans son interprétation que dans ses textes, un style qu’il avait déjà présenté dans Fils de pute, son projet précédent ; et d’autre part des sons beaucoup plus chaleureux, plus entrainants, plus chantés et où l’autotune se fait plus ressentir. A cette époque cette nouvelle couleur musicale pouvait surprendre tant elle se différenciait de ce qu’il avait alors déjà pu proposer, pourtant c’est bien ce style qu’il développera le plus par la suite et qui fera ses plus gros succès. Si le projet traite d’un grand nombre de sujets, c’est de la drogue et des femmes que le Perpignanais parle le plus, deux thèmes qui peuvent paraître sans réel lien mais qui sont traités par le même angle : l’addiction. Le rappeur parvient ainsi à rendre cohérent cette alternance entre deux atmosphères opposées, un fil rouge que l’on peut également retrouver dans la notion de "ride" qui parcourt l’EP aussi bien dans son fond que dans sa forme et qui est explicitée dans le morceau « Berline ». La réussite du projet est également liée au travail de En’Zoo, beatmaker proche de l’artiste qui a presque intégralement produit le disque.
Spécial
Siboy
Comment ne pas parler de Siboy dans cet article tant sa musique correspond parfaitement aux critères de la sélection. Avec Spécial le rappeur a su durablement marquer les esprits et montrer qu’il était capable de faire de ce premier album (et même premier projet !) un disque unique. Personnage charismatique et cagoulé aux textes crus, l’artiste fait clairement partie des rappeurs les plus hardcores, pourtant c’est bien lui qui est à l’origine de « Mobali » que certains considèrent, à raison, comme le meilleur tube d’été du rap francophone. Quelques jours avant la sortie du projet, Siboy déclarait dans un entretien donné aux Inrockuptibles « [qu’il] voulait que ça varie, qu’il y ait du clair et du sombre ». Le pari est réussi puisque l’album offre tantôt une trap brute, dure et parfois très violente, et tantôt de véritables hits entêtants. Le rappeur possède une telle puissance vocale et une telle maîtrise de celle-ci qu’il parvient à rendre intense n’importe quel titre, qu’il soit fait pour profiter paisiblement du soleil comme « Déterminé » ou pour se défouler brutalement comme « Au revoir merci ». Musicalement, Spécial s’inscrit dans la plupart des codes du mainstream mais par sa bivalence et la radicalité de ses choix il réussit à complètement se démarquer de tout autre album.
Le son d'après
Lala &ce
Lala &ce sort son premier projet à la fin du printemps 2019 et si sa pochette remplie de pétales de rose aurait pu nous faire nous attendre à des morceaux exclusivement destinés à profiter de la chaleur et des beaux jours, l’EP se montrera bien plus singulier en poursuivant le schéma des deux singles dévoilés plus tôt, « Serena (Botcho) » et « Wet (Drippin’) ». Jusqu’alors encore membre du 667, elle continue de proposer des morceaux aux sonorités sombres, dures et froides qui caractérisent le groupe mais en explorant de nouvelles ambiances beaucoup plus douces, colorées et estivales, et sans doute également plus accessibles. La sensualité étant un thème très présent dans la musique de la rappeuse, elle semble voir dans cette binarité le moyen d’exprimer les mêmes émotions en faisant ressentir des sensations diamétralement contraires. Jamais en demi-teinte et toujours radical dans ses partis pris, Le son d’après parvient à ancrer le style unique de Lala &ce tout en offrant une diversité musicale épatante.
Ateyaba
Ateyaba
Dans la catégorie (très précise il faut l’avouer) des rappeurs sachant aussi bien aller dans le hit d’été que dans le banger sombre et percutant, Ateyaba est incontestablement sur le podium. Dès le début de sa carrière le rappeur à montrer son attirance pour ces deux genres d’ambiances, mais le projet qui l’illustre le mieux est bien son premier album. Dévoilé en 2014, Ateyaba regroupe tous les styles que le rappeur a alors pu explorer : l’égotrip et les productions percutantes se mélangent à des morceaux planants, à des sonorités électroniques ou à des propositions plus expérimentales. Attaché à la trap et à un certain style américain, le MC nous propose des morceaux très rappés et parfois assez énervés, mais nous montre aussi une partie de lui beaucoup plus sereine avec des titres très ensoleillés et décontractés qui nous rappellent le sud de la France dont il est originaire. A l’image du morceau « On est sur les nerfs », ces styles s’alternent, se combinent et finissent par créer une teinte commune. Au-delà de cette musicalité originale, l’artiste traite de ses thèmes favoris, la drogue, les femmes, le sexe et l’argent, mais délaisse son obsession pour le Japon pour s’aventurer sur des sujets plus personnels et politiques donnant un vrai propos à l’album. Extrêmement riche et innovant, Ateyaba est un disque idéal pour la rentrée, mais soyons honnêtes (et un peu prétentieux), les gens de bons gouts l’écoute toute l’année.
J.O.$
Josman
Comme Georgio, A2h ou encore Ninho, Josman est un artiste particulièrement polyvalent. Tout au long de sa carrière il a su montrer ses aptitudes de kickeur et de rimeur technique, c’est d’ailleurs avec ce style qu’il s’initie au rap en enchaînant battles et open-mics, mais il a également toujours assumé son penchant pour les mélodies et montré son exceptionnel talent pour les refrains qui restent en tête. Avec sa voix très identifiable, le rappeur est à peu près capable de tout faire dans son interprétation, la diversité de ses flows nous prouve à la fois sa fabuleuse créativité et sa dextérité hors normes. A l’échelle de sa discographie les styles sont extrêmement variés, mais avec son premier album sorti en septembre 2018, il nous partage un projet plus binaire dans lequel deux atmosphères très distinctes cohabitent. Josman balance entre son côté misanthrope et fataliste, portant un regard noir sur le monde, et son côté amoureux voire passionnel qui sait profiter des plaisirs de la vie : deux états très différents qui sont pourtant totalement cohérents puisque le second répond au premier. Bien que chaque morceau ait sa propre couleur, la précision et la maîtrise de son univers artistique font que l’ensemble possède un vrai sens et une musicalité commune propre au MC, mais aussi à son fidèle acolyte Eazy Dew qui a produit la quasi-totalité de l’album.
BLO
13 Block
Un an après le projet Triple S et sa remarquable réussite, 13 Block dévoile son premier album en 2019, à une période où la trap a déjà connu son âge d’or dans le rap francophone et où le genre montre de plus en plus ses limites. Cependant il connait un regain d’intérêt avec BLO qui nous propose une trap plus singulière et plus variée, mais toujours identifiable au groupe sevranais. Cette nouvelle couleur d’un genre pourtant déjà parcouru en large et en travers s’explique évidemment par les caractéristiques du quatuor qui apportait à cette époque un véritable vent de fraicheur au rap, mais aussi au talent des nombreux beatmakers ayant participé au projet, Junior Alaprod et Ikaz Boi pour ne citer qu’eux. Prêt à se déchainer à en faire trembler les murs comme sur « Fuck le 17 », le groupe n’hésite pas non plus à offrir des morceaux beaucoup moins sombres, plus posés mais aussi plus accessibles comme « Si j’avais » ou « Petit cœur ». Cette capacité à pouvoir changer radicalement d’ambiance d’un titre à l’autre est sans aucun doute liée au fait qu’il s’agit d’un groupe et donc que chacun des membres a ses propres aptitudes et ses propres inspirations qui, une fois réunies et agencées habilement, donnent des morceaux cohérents dans leur style. Si Stavo peut à tout moment faire résonner son imposante voix grave, il sait aussi s’adapter aux toplines mélodieuses que peut par exemple proposer Zed, et chacun des quatre rappeurs a ce talent, ce qui donne à la fois une symbiose de groupe mais aussi une vraie harmonie à chaque titre même si les styles varient. BLO est un album peut-être plus nuancé que les autres de cette sélection, mais il donne justement un autre aspect de l’alternance entre des ambiances que rien ne semble rapprocher.