Une ambiance feutrée, des sonorités nostalgiques, un ton mélancolique : voilà l’atmosphère que nous livre Campesino. À travers ses morceaux, il nous invite à explorer ses souvenirs d’enfance, les paysages de la campagne qui l’entourent, tout en nous plongeant dans une réflexion introspective. Loin du bitume, proche de la nature, le décor est posé. Le rappeur nous partage sa vision du monde, nourrie par ses amitiés, ses voyages et ses influences musicales. Avec des textes soignés, un flow influencé par l’émo-trap et producteur de la plupart de ses titres, il nous offre une musique authentique. Nous le retrouvons dans la maison d’un ami d’enfance, terrain de jeu de ses premières expériences musicales, pour retracer son parcours jusqu’à la sortie de son nouveau projet, La Fleur, prévue pour très bientôt.
LA LOGE : Pour commencer, quels sont tes premiers souvenirs liés à la musique ?
Campesino : C'est ici, à l'étage [maison d’un ami d’enfance]. On s’est mis à tester des choses quand on a acheté une carte son. C'était en 2018, en haut, dans la salle de bain, on a essayé de faire du son. On s’ennuyait et on fumait des joints [rires].
LL : Et si on remonte plus loin, tes parents t'ont transmis des influences en musique ?
C : Pour le coup, quand j'étais petit je n'étais vraiment pas musique. Je n'aimais pas ça du tout. Ma mère écoutait beaucoup de variété française. C'est pour ça qu'aujourd'hui les musiques à texte, c'est ce qui me parle. Beaucoup d’Aznavour, de Goldman…
LL : On retrouve un sample de Goldman sur le morceau « Kopeck » justement. Ce sont les premiers artistes que tu as écouté ?
C : Tout seul non. Les premiers sons que j’ai cherché par moi-même, c'était du rap. C'était Cactus de Sibérie d'Oxmo. Et le premier truc que j'ai cherché sur internet, c'était « Sale pute » d’Orelsan [rires]. Orelsan c’est surtout les thématiques qui me parlaient. J’ai aussi beaucoup écouté de boom bap français, énormément de trap d'Atlanta. Autant du IAM que du Young Thug.

LL : Quand on se penche sur ton univers, tes projets, ton nom de scène, on discerne clairement les thématiques de la campagne, de la ruralité… Tu penses que vivre à la campagne t'a construit des références différentes ?
C : J’en suis persuadé. Il y a beaucoup de trucs de la campagne qui me parlent et qui parlent moins à un citadin. Jean Ferrat, Pagnol… Je pense qu'il faut venir de la campagne pour que ça te prenne. Surtout Pagnol, avec les descriptions de l'environnement j'ai l'impression d'y être, ça me touche !
LL : Sur ton dernier projet, dans le morceau « Le Lorax » tu dresses le portrait d’une campagne à l’abandon, d’une nature qui s’efface et qu’il faudrait sauver. Qu’est ce que tu veux dire par là ?
C : Il y a encore trop peu de personnes qui captent mais on le voit bien, il y a de plus en plus de champs qui disparaissent, tout est urbanisé. Chez ma grand-mère, comme je raconte dans le morceau, on perd tous les champs fruitiers, il n’y a plus rien. C’est là où j'ai grandi, et ça disparaît. Je vois des gars comme PNL parler de leur tour, je me dis que je peux aussi parler de chez moi.
Je vois des gars comme PNL parler de leur tour, je me dis que je peux aussi parler de chez moi.
LL : Et ça ne te fait pas peur d’être catégorisé “rappeur campagnard” avec un côté “ringard” ?
C : Si. Je n’ai pas envie qu’on me colle cette étiquette là. Je veux parler de la campagne sans faire quelque chose de “daté”. Je veux m’inscrire dans ce que j’aime. Même au mixage, dans le choix des sonorités, je veux rester moderne. J’essaye de m’inscrire dans mon époque.
LL : Tu as déjà pensé à quitter cet univers pour la ville ? Pour te rapprocher du monde de la musique ?
C : Oui bien sûr, et j'y pense encore aujourd'hui. Je préfère largement la campagne mais si les occasions se multiplient il faudra bien que je bouge. J’y ai pensé à partir du moment où ça devenait concret, quand un label m’a contacté pour travailler avec eux. En tout cas je l'envisage. La France est centralisée, tout est à Paris. La culture, les concerts, les labels sont à Paris. Mais avec mon équipe on avait déjà évoqué un projet, faire un gros festival, ici à la campagne, pour la mettre sur la carte.

LL : Dans le morceau « Félix », tu évoques ton voyage au Sénégal et ta rencontre avec ce pêcheur sénégalais. Tu gardes quoi de ce voyage ?
C : Aller au Sénégal ça m'a mis une sacrée tarte. J’ai vu l'envers du capitalisme. Nous on profite de ce système, et c'est eux qui se font niquer. Félix il nous a accosté sur la plage pour nous proposer d’aller dans son restaurant, c’était une planche sur deux cailloux, et on a parlé toute la nuit. C’est l’échange qui m’a le plus retourné de toute ma vie. Félix, il a beau avoir fait des études de pilote, il est coincé en Casamance [ndlr : zone sud du Sénégal]. J’ai vu aussi les grandes côtes sénégalaises détruites par le passage des bateaux. Et c’est un parallèle avec nos campagnes, nous aussi on est ignoré, mis à l’écart. Je me disais qu’en France, dans les campagnes, on était les grands oubliés mais là-bas j’ai ressenti un grand sentiment d’injustice.
Je me disais qu’en France, dans les campagnes, on était les grands oubliés mais là-bas j’ai ressenti un grand sentiment d’injustice.
LL : Une autre thématique très présente dans ta musique c’est l’enfance. Quel est ton point de vue dessus ?
C : Je considère que l’on est tous de grands enfants. La plupart de nos fondations se construisent à ce moment-là et s’affinent quand on grandit. Je n’ai jamais voulu grandir, j’ai eu ce syndrome de Peter Pan, et je l’ai toujours. Je déteste les trucs d’adultes. Ça me parle d’autant plus parce que ma mère est professeure des écoles. Cette période est très précieuse, c’est un cocon que l’on doit garder toute sa vie. Je pense que je suis très nostalgique. A chaque fois que j’écris, la nostalgie c’est le premier truc qui me prend aux tripes. Ça se mélange avec la mélancolie.
LL : Tu penses à un morceau en particulier où on retrouve ces sentiments et ces souvenirs d’enfant ?
C : « Les champs de papa ». J’ai commencé à bosser dans les champs de mon père quand j’étais ado. La mélodie du morceau colle bien aussi avec cette thématique, il y a une forme de pureté. C’est un de mes sons préférés. Tout le monde a un champs de papa à soi, c’est un lieu d’enfance où on aime se retrouver.

LL : Tout à l’heure tu parlais de t’inscrire dans ton époque, dans plusieurs morceaux tu parles d’une lassitude envers ce qui sort dans le rap. C’est une posture égotrip ou tu trouves réellement qu’il y a un manque de créativité dans le rap ?
C : Oui je trouve. Sans faire le mec hautain, je ne suis pas meilleur que les autres. Mais je trouve que beaucoup disent la même chose, avec les mêmes flows, sur les mêmes prods. Visuellement aussi d’ailleurs c’est pareil. Il y a eu la période un peu dark, un peu métal de Playboy Carti et beaucoup ont suivi. Je trouve que ça manque de créativité, d’écriture, de fond. Je peux moi aussi m'inscrire dans ce qui marche, mais j’essaye de faire surtout ce qui me parle.
LL : Tu écoutes toujours du rap ?
C : Bien sûr, il y a encore des projets qui me parlent. Dernièrement il y a eu les sons et les clips de H JeuneCrack, il y a une esthétique à l’ancienne, du sample, il écrit super bien. Deelee S, Nobodylikesbirdie, TH aussi. Je ne suis pas fataliste, il y a plein de projets que je trouve incroyables. Mais je me suis aussi tourné vers d’autres styles, du rock, de la country, même du flamenco [rires]. Mais j’aimerai toujours le rap.
J’aime bien l’idée de tout faire de A à Z, de conserver ce microcosme. Je travaille avec une équipe déjà établie, mes potes de toujours.
LL : Tu as produit beaucoup de tes morceaux, comment as-tu été amené à avoir ce rôle de compositeur ?
C : J'ai commencé par rapper sur des type-beats, et ensuite je me suis dit que j'avais envie de faire mes prods, avec mon univers, et surtout je trouvais les prods trop chers [rires]. Alors je me suis dit que j’allais apprendre et je me suis enfermé, six mois, peut-être un an. Je ne faisais que ça toute la journée et j'ai appris. Avant, j’avais de la frustration sur les prods, je trouvais toujours un détail qui ne me convenait pas. Je préfère faire tout moi même et rapper sur ce qui me fait envie.
LL : Tu n’as fait aucun feat jusqu’à maintenant, il y a une raison particulière ? Est-ce que c’est lié au côté “fait maison” avec ton équipe qui sont tes amis d’enfance ?
C : J’aime bien l’idée de tout faire de A à Z, de conserver ce microcosme. Bien sûr il y a des artistes avec qui j’aimerai collaborer, je ne ferme pas du tout la porte. Par contre ça peut m’arriver de rapper sur des prods qui ne sont pas de moi, sur le morceau Aline notamment. Quand on a monté notre structure Acacia Records, c’était une grande étape. Je travaille avec une équipe déjà établie, mes potes de toujours, ça a concrétisé un fonctionnement qui était déjà là, mais je vois plus loin.
LL : Tu évoques ta timidité dans plusieurs morceaux, comment se sont passées tes scènes ?
C : Je suis plutôt un mec de studio, je préfère être dans ma bulle. Mais je commence à kiffer, ça commence à se débloquer [rires].

LL : Tes premiers sons et tes premiers projets remontent maintenant à il y a plus de trois ans. Tu as quel regard sur cette période ?
C : 15m², mon premier projet, franchement c'est bien guez [rires]. Mais je pense qu'il fallait en passer par là pour faire un crash test, on partait de rien, on s’est jeté dans le vide. Mais je ne regrette pas et je n'ai pas spécialement envie de le supprimer, je m'en fiche. Ça fait partie du cheminement. Le tout premier morceau, « Zéro », je le trouve toujours cool.
LL : Si on suit la métaphore de tes projets (La graine, Le bourgeon), qu’est qui attend tes auditeur·rices pour la suite ?
C : Il y a le prochain album La Fleur qui arrive très bientôt. C’est la même recette, mais on a amélioré pas mal de points.