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Lithopédion

Damso

26 avril 2021

Album incompris d’un artiste qui se sent lui-même incompris, Lithopédion apparait comme une énigme dans la carrière de Damso. Bien que l’album Ipséité ait connu un immense succès à tous les niveaux, Lithopédion n’a quant à lui pas le statut de « classique » et semble ne pas avoir été compris par certains auditeurs. Attendu au tournant, Damso a-t-il raté sa sortie avec cet album ? Le chemin emprunté par le rappeur a-t-il vraiment été compris ? Si le temps aide à prendre du recul alors essayons aujourd’hui de comprendre cet album au nom aussi insaisissable que son auteur.


O – INTRODUCTION

Venant du grec lithos, la pierre, et paidion, petit enfant, un lithopédion est en fait un fœtus d’une grossesse extra-utérine, c’est-à-dire en dehors de l’utérus, qui ne parvient pas à se développer suffisamment et qui finit par mourir. Ne pouvant être expulsé, il finit par se calcifier, d’où le rapport à la pierre, et peut rester de nombreuses années dans le ventre de sa mère sans que celle-ci ne s’en aperçoive. Il s’agit donc d’un corps mort dans un corps en vie : une image qui plaisait à Damso pour exprimer ce qu’il ressentait à cette époque-là, après tout ce chemin parcouru. De la débrouillardise de son premier projet Salle d’attente en 2014 jusqu’à l’émotion contenue dans Ipséité en passant par son travail acharné illustré dans Batterie faible, Damso a toujours montré son évolution à travers ses albums. Lithopédion était alors la dernière pierre de l’édifice de son début de carrière, c’était le projet qui devait lui confirmer sa place parmi les plus grandes têtes d’affiches du rap et faire taire les dernières critiques. Pourtant, le rappeur a décidé de continuer dans sa direction artistique de départ en se concentrant sur la mise en musique de sa vie à un moment précis, sans particulièrement prendre en compte l’aspect commercial de son disque.

Ainsi, comprendre Damso c’est comprendre cette évolution, ce qu’il traverse dans la recherche de « sa voie ». A ce sujet, l’album précédant nous apprenait qu’il avait fini par trouver ce qui faisait son ipséité, ce qui le différenciait des autres : son flow. C’est à la fin du dernier morceau de l’album que l’on comprend que le rappeur, dans une chambre d’hôpital, a été « victime d’un transfert d’âme appelé expérience de walk-in », expérience où une âme tente de s’emparer du corps d’une autre âme pour vivre à sa place. Mais heureusement pour Damso, cet échange échoue car l’âme entrante n’a pas réussi à imiter son flow, ce qui le caractérise le plus sur terre. C’est donc dans cette chambre d’hôpital que se termine cet album et dans cette même chambre que commence le nôtre.

Comme beaucoup d’albums dit conceptuels (ou du moins avec une histoire ou un univers marqué), c’est l’introduction qui va donner la couleur du projet et qui va véritablement plonger l’auditeur dans une narration. Faisant suite à l’expérience de walk-in, Damso se réveille dans une chambre d’hôpital où il commence à décrire son monde ; et la couleur qu’il lui donne c’est le noir, ou plutôt le nwaar. Que ce soit dans le ton de la voix ou dans la violence des paroles, tout est noir dans cette introduction, tout comme la pochette de l’album. On sait alors que l’on aura affaire à un univers rempli de racisme, de violence, de plaisirs charnels, de volonté de vaincre ou encore de haine pour les « fils de putains ». En somme un monde que Damso n’aime pas, et dans lequel, tel un lithopédion, il ne se sent pas vivre.

I - UN PAVILLON DE HAINE

Dans la première partie de l’album, Damso reprend ce schéma en décrivant le monde qui l’entoure à son réveil. Dans « Festival de rêves », avec une impression d’EMI (Expérience de Mort Imminente) et une sensation planante, il décrit le monde comme un « pavillon de haine » où on retrouve « la drogue », « la mort » et un « cœur qui saigne ». Dans « Baltringue » il peint la fresque d’une société qui se ment à elle-même, où tout le monde est une baltringue à sa manière. Dans « Julien » il s’aventure dans les abysses du comportement humain en décrivant la pédophilie, comme un point d’orgue de la noirceur du monde.

Il n’y a pas que ce que Damso voit, il y a aussi ce qu’il ressent au sein de ce monde, et notamment dans ses relations charnelles. Dans le seul featuring de l’album, « Silence », avec Angèle, il exprime paradoxalement sa difficulté à s’exprimer (« Silence, je ne parle pas ») et à être compris dans une relation, ne sachant plus où il est (« c’est la tienne ou ma faute »). Ce morceau résonne d’ailleurs d’autant mieux avec le suivant, « Feu de bois », puisque celui-ci nous raconte une histoire d’amour où Damso n’est pas présent pour l’autre, où il va voir ailleurs et où il n’est pas compris pour ce qu’il est. Ainsi, les « jeux de voix » dans « Feu de bois » apparaissent comme précédant le silence de Damso. Dans cette esquisse du monde qui l’environne, le rappeur nous dépeint le dernier élément de cette sombre société : le racisme. Sur le morceau « Même issue », il constate le tribut que paient encore les pays africains colonisés, la violence des gouvernements, la souffrance des populations, et que, malgré son succès, il tourne toujours en rond comme dans un escalier en Penrose : « c’est partout la même ». À travers cette première partie, on comprend mieux pourquoi Damso se sent comme mort dans un monde en vie, un pavillon de haine qu’il va fuir.

II - AU PARADIS

Et pour fuir ce monde, Damso va faire ce qui le rend unique : « s’il y a bien une chose que j’sais faire c’est niquer des mères ». Son flow donc. C’est par cette violence dans sa volonté de réussir qu’il s’échappe de ce monde. Mais ce n’est pas la seule issue, c’est aussi en fuyant par la drogue (ce à quoi fait référence le terme « Smog », qui désigne un brouillard épais, comme la fumée de certaines drogues). De la même manière, dans « 60 années », Damso nous explique que ce qui le pousse à pêcher, et notamment à tromper ses copines, c’est le fait que la vie soit de courte durée, que « pour profiter il faut pêcher, car la vie ne fait que soixante années ». Et ce sont ces deux paradis - artificiels - qu’il nous décrit dans « Aux paradis » : celui des plaisirs sexuels et celui de la drogue. Pourtant Damso a conscience qu’il n’est pas lui-même, que sa « conscience est euthanasiée », et il continue de penser qu’il ira quand même au paradis. Mais, peut-être que le rappeur nous a entrainer dans sa fuite sans qu’on le comprenne vraiment. Et si jusque-là on se trompait ? Et si Damso ne nous avait pas dit la vérité ?

III - DAMSO, DIS-LEUR

Là où beaucoup ont vu, dans leurs théories, une dissociation entre Damso et William, son vrai prénom, il n’en est rien. Ce sont bel et bien la même personne, simplement son mal-être dans ce monde le pousse à le fuir, à se mentir à lui-même. C’est ce que nous apprend le morceau « Dix leurres », tout d’abord parce qu’il joue sur l’homophonie « Dix leurres / Dis leur / Dealer » mais surtout parce qu’il s’agit du onzième morceau : les dix premiers seraient alors des leurres. Ce morceau marque une certaine rupture dans l’album puisque c’est la première fois qu’on voit Damso montrer ses failles, « j’ai si peur, j’ai si peur », mais aussi puisqu’avec la dernière phrase du morceau « Damso dis-leur », il compte dire directement la vérité pour la fin de l’album.

Avec le morceau « NMI », il déverse sa haine sur ceux qui veulent du mal, les fameux « fils de putains » de l’introduction. Avec « Perplexe » il exprime le fait qu’en étant lui-même il n’est pas compris et qu’il ne comprend pas l’autre. S’en suit « Tard la night », qui représente sa fuite dans les fameux paradis artificiels, mais cette fois c’est la tristesse qui l’y conduit. Enfin, dans « Noir meilleur », le titre le plus introspectif de l’album, Damso s’exprime sur sa volonté d’être quelqu’un de meilleur car, finalement, il ne vit plus pour lui. C’est ce que l’on peut notamment comprendre avec cette phrase :

 J’passe trop d’temps à être c’que j’suis pas, j’finis par croire qu’j’le suis vraiment 
Damso - Noir meilleur

Mais c’est aussi dans ce morceau qu’il commence à voir la lumière, loin de l’agitation de ce monde : « J’suis loin du dérangement, mes paupières sont en éveil, attendent le réveil de mon enfant. » C’est donc près de son fils, la seule source de bonheur à ses yeux, qu’il revit et qu’il sort de ce coma dans lequel il était plongé au début de l’album. Quant au dernier titre, « William », qui a poussé les gens à voir un dédoublement de sa personnalité, c’est une conclusion de tout ce qu’il a vécu : son parcours, ses blessures, l’infidélité, les relations amoureuses ou encore son divorce. Tout cet album est résumé par la dernière phrase : « j’crois que c’est à cause de tout ça, que j’écris tout ça ». C’est l’univers qui l’entoure qui fait qu’il se sent mort dans ce monde. La seule lumière dans toute cette noirceur c’est son fils, Lior, le seul pour qui la vie vaut la peine d’être vécue, la seule personne avec qui il entretient un amour qui est « la caution à la condamnation qu’est la vie » comme il le dit lui-même.


Finalement, comprendre Lithopédion c’est comprendre l’évolution de Damso en tant qu’artiste mais surtout en tant qu’humain : un humain seul, incompris et malheureux dans un monde noir. C’est à la lumière de ce mal-être profond que l’on comprend son retour aux sources sur sa terre natale, le Congo, pour nous partager ce qu’il est réellement en tant qu’humain : quelqu’un de blessé, de sentimental et d’aimant, des facettes qu’il n’avait jusque-là pas complètement osé montrer. Et QALF c’est ça : l’aboutissement de l’évolution personnelle de Damso pour atteindre ce qu’il est véritablement, et ceux qui aiment le like ou le follow.

Rédaction : Pierrig L.

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