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ZushiBoyz vol.1

Un retour aux sources pour Caballero & JeanJass

12 avril 2022

Après avoir chacun fait un détour en solo, Caballero et JeanJass ont fait leur retour en duo en dévoilant un sixième projet commun en décembre dernier : Zushiboyz. Un retour aux sources, aux bases, au classicisme, c’est le thème annoncé du disque sorti uniquement en vinyle et limité à 1500 exemplaires. La démarche est old-school, un projet full boom-bap qui rappelle l’âge d’or du rap new-yorkais ; une manière ingénieuse de prendre l’industrie à contrepied pour se reconcentrer sur ce qu’il y a de plus important dans la musique : la musique.


Un produit artistique et artisanal

Depuis l’ère du streaming, la part des ventes physiques de l’ensemble de l’industrie musicale n’a fait que diminuer. Avec les nouveaux modes de consommation de la musique, la culture hip-hop fait face à « la mort du disque » mais reste tout de même attachée à la notion de matériel et d’expérience physique, en témoigne le retour en force du vinyle ces dernières années. En plus d’un objet de collection, le vinyle est le meilleur des supports pour écouter de la musique. Elle y est stockée de façon spatiale, le son est analogique, ce qui donne un grain et une subtilité que le CD et le streaming ne pourront jamais offrir, en plus de l’aspect vintage et nostalgique qui gravite autour de cet objet. La musique que l’on a pris l’habitude de consommer sur notre smartphone est compressée et recompressée au travers de playlists que l’on peut skipper à nos souhaits. Ces nouveaux modes de consommations permettent une ouverture sur à peu près toute la musique du monde pour seulement quelques euros, elle est ainsi susceptible d’être réduite à un produit et nous auditeurs à des clients.

 Avant j'achetais les sons, j'écoutais même ceux que j'aimais pas
Maintenant j'ai 40 Giga d'MP3 que j'écoute même pas 
Orelsan - Changement

Zushiboyz est un projet qui se raccroche aux racines du hip-hop pour recréer une expérience physique à travers la musique. C’est l’envie de redonner à la production musicale un côté artisanal et artistique pour créer un moment. Rentrer chez soi après une trop longue journée, sortir le disque de sa pochette, le placer délicatement sur la platine avant de lui donner un coup de chiffon, puis déposer soigneusement le diamant et enfin entendre les premiers crépitements. Cette démarche de préparation de l’écoute fait partie de l’expérience du projet et donne un aspect précieux et rare à l’instant. Ce qui s’en suit est une session d’écoute attentive d’un album de pur boom-bap réunissant une flopée de producteurs et découpeurs alliant classicisme, vintage et modernisme. Une tout autre manière d’apprécier la musique plutôt que dans le fond d’un écouteur contre la vitre froide d’un bus blindé de fin de journée. Une idée maline pour prendre l’industrie à contrepied en offrant à l’auditeur une expérience unique et personnelle.

Un retour au boom-bap

La scène rap francophone a connu des évolutions majeures durant les deux dernières décennies. Les fameux beats aux 90 BPM qui ont fait l’âge d’or du hip-hop ont été progressivement délaissées pour faire place à plus d’éclectisme, avec l’arrivée de nouveaux sous genres : trap, cloud rap, drill, jazz... Si bien que le boom-bap a eu presque tendance à devenir un contre-courant, une démarche old-school que l’on retrouve peu dans le paysage musical de ces dernières années. Ce style emblématique du hip-hop a toujours été présent dans l’univers et la musique de Caballero & JeanJass, surtout à leurs débuts. Depuis on y retrouve des bribes, des morceaux aux comptes gouttes. Le boom-bap est au rap ce que Maradona est au football, style vintage mais ça joue grandiose, fin et efficace.

Le premier tour de force indéniable du duo est de réunir une équipe de découpeurs, de s’entourer, de savoir s’adapter tout en composant avec leurs propres talents, le tout aidé par la vision de JeanJass usant de ses aptitudes de producteur et arrangeur. Isha, Alkpote, Rizla, Benjamin Epps, Seyté et Limsa D’Aulnay : Zushiboyz débarque avec un casting sur mesure qui trouve son équilibre entre punchlines, phases divertissantes et un grain de propos consciencieux.

L’intention est pure, les codes du boom-bap sont maitrisés et honorés comme la famille Gambino, célèbre famille mafieuse issue de la Cosa Nostra Sicilienne qui sévissait à New York au siècle dernier, rappelle ISHA sur « Gambinos ». Les productions de Mani Deïz, Kyo Itachi, Le Seize, Eskondo, STAB et Doctor Prime relatent une vraie recherche de créativité, avec des patchworks de sons différents, une grande diversité dans les instruments utilisés, la formule parvient à trouver une grande homogénéité sans être redondante. La dimension cosmopolite du projet se ressent à deux niveaux : d’une part, grâce aux artistes (rappeurs et beatmakers) présents ; d’autre part, grâce à la diversité d’ambiances et d’émotions transmises tout au long de l’album. On traverse un passage de Jazz sur « Top Shelf », le haut du panier là on l’on retrouve la meilleure qualité, jusqu’à l’instrumentale de « Nouveau QB » qui rappelle les bandes originales de quelques-uns des plus grands films de mafiosi.

Drip et légèreté

Après les deux albums solos qu’ont été OSO et Hat Trick, assez introspectifs et personnels, le ton est différent sur Zushiboyz. Le duo pratique un égotrip dont eux seuls ont le secret, souvent plus léger, on revient aux bases du premier Double hélice. Sur une livraison de beats boom-bap, les rimes sont finement ciselées, le propos est insolent et souvent emballé d’un grand sens de l’humour à l’image du morceau « Je paye pas ça ». La découpe est toujours très nonchalante et aérienne, les placements laissent toujours de la place aux productions, les temps sont parfaitement marqués, jouant toujours avec les espaces, on ressent que les silences ont autant leur place que les couplets sur la plupart des morceaux. Limsa d’Aulnay livre un couplet sur « Adriano » qui en fera sans doute sourire plus d’un : « J'préfère zoner dans un quartier bre-som tout l’été que d'être avec deux-mille-cinq-cents bretons sous MD ».

Les pochettes dévoilées représentent le riz d’un sushi pour l’une, le saumon pour l’autre. Construite par Romain Garcin, cette complémentarité faire vivre une esthétique importante de l’album : la bonne bouffe. Cette imagerie particulière se retrouve dans la DA visuelle du projet, de sa pochette à sa promotion, mais également beaucoup dans les textes.

 Je sip mon verre, fly comme une hirondelle
Garçon il m'faut des glaçons et une p'tite rondelle de citron vert
Une crème glacée, avec du coulis, des copeaux d'choco, des bouts de cookies 
Caballero - Omelettes

Les références au football sont également récurrentes tout le long du projet, et c’est un vrai plaisir d’en entendre des bonnes. Au placard les formulations toutes faites comme « Je suis sur le rainté comme {…} » ou « grosse peuffra comme {…} ». Avec nos deux compères (et particulièrement JeanJass), c’est toujours plus subtil, plus fin, plus pointu ; en bref c’est un festival de rimes footballistiques, du grand art pour les amateurs de ballon rond. A l’image du film Last Action Hero, le disque prend parfois l’allure d’un film d’action décalé, la voix du personnage incarné par Arnold Schwarzenegger donne la réplique de fin d’un des meilleurs morceaux : « Omelettes ». Benjamin Epps, qui trouve une grande partie de ses influences dans le rap new-yorkais des années 90, accompagne brillamment les deux belges ; une seule boucle flottante suffit à créer une osmose entre les trois couplets : le cocktail est bien monté, bien dosé.

Substances et mélancolie

Sur son album Hat Trick, JeanJass expliquait être devenu ambassadeur du cannabis. Cet univers a souvent été visité à travers l’humour dans la musique du duo jusqu’à leur émission High & Fines Herbes. Ici les substances sont racontées comme une échappatoire, elles traversent la mélancolie des artistes, leurs doutes. Zushiboyz devient réellement touchant par ces moments plus vulnérables. Le chant du cygne désigne la plus belle et dernière chose réalisée par quelqu’un avant de mourir, plutôt utilisée au 18ème siècle dans l’art et plus particulièrement la poésie, cette belle expression relate de la dernière œuvre remarquable d’un poète ou d’un artiste. Sur le morceau « Chant du cygne », l’approche sonique est très personnelle, un univers se développe à travers quatre couplets dont ceux des invités Seyte et Rizla où la sentimentalité et l’égotrip coexistent. La production est plus obscure, les invités de La Smala se glissent dans le rythme et le thème du son, les couplets sont longs, le propos est tantôt sombre, tantôt triste, et tout se finit sur une outro dédié à un solo de piano gravelé.

 Des fois j'aimerais pleurer mais y a rien qui sort, j'suis pas très émotif
Si c'était à r'faire, j'ferais peut-être quelques modif'
Plutôt mourir que d'avouer qu'j'étais fautif
Moi aussi j'suis con, trois heures du mat' zéro notif 
JeanJass - Chant du cygne

Le processus de confection des liqueurs et spiritueux prends du temps pour arriver à un produit final. C’est le vieillissement qui leur permet de devenir leur meilleure version. Belle comparaison de Caballero sur les dernières mesures du disque, Courvoisier est une maison française de cognac réputée. Tout comme une bouteille de la marque, le duo s’améliore avec le temps, il muri en prenant de l’âge. Sur « Chats Sauvages », la production livrée par Eskondo est plus douce, une guitare et quelques percussions suffisent pour mettre en avant la voix des rappeurs. Le morceau se termine en laissant résonner les notes d’un cuivre qui par la même occasion conclu l’album ; un moment aussi puissant que paisible qui aboutit à un profond calme dont ne s’échappe plus que le bruit du disque continuant à tourner.


Zushiboyz est un projet spécial dans le paysage du rap francophone. Autant dans son propos en revenant aux racines du rap, au « classicisme » du boom-bap, que dans son contexte en ne sortant pas en streaming. Véritable bouffée d’air frais qui prend le contrepied de l’industrie, c’est un pur plaisir pour les plus chanceux qui sont parvenus à se procurer le disque. Pour les autres on ne peut que vous conseiller de rester attentif à la sortie du deuxième volume qui devrait arriver cette année, déjà très bien teasé par JeanJass sur les réseaux.

Rédaction : Arthur Bobée
Photo de couverture : Neto Firmino

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