Des rappeurs dans les salles obscures

30 mars 2019

Depuis maintenant plusieurs dizaines d’années, le Rap s’exporte au cinéma et ce par divers moyens. On a pu voir les biopics de plusieurs superstars de cette musique comme The Notorious B.I.G, 2Pac, NWA, 50 Cent ou encore Eminem (même si 8 Mile est semi-biographique). On connait également des artistes à la carrière exceptionnelle comme Donald Glover aka Childish Gambino, qui parviennent à réussir une carrière de rappeur en parallèle d’une de réalisateur et d’acteur, ou encore Will Smith aka The Fresh Prince qui est aujourd'hui principalement connu pour sa carrière d’acteur plutôt que pour sa musique, pourtant antérieure. Dans les films, les apparitions de rappeurs sont anciennes et de plus en plus fréquentes ; on note aussi que la présence de morceaux de rap n’est plus rare du tout. En bref, aux Etats-Unis, le rap et le cinéma se rencontrent assez souvent et énoncer les différents liens entre les deux seraient bien trop long et surement très compliqué. Mais qu’en est-il chez nous ?

C’est la question que je me suis posée il y a déjà quelques temps et sur laquelle j’ai réfléchi pendant de nombreuses semaines. Ainsi, lorsque je parlerai du rap, je sous-entendrai rap francophone. Mes recherches m’ont permis de découvrir différents liens unissant les deux domaines. J’ai donc décidé de regrouper les plus importants d’entre eux dans deux articles synthétiques, l’un sur les liens du cinéma vers le rap et l’autre sur la relation inverse. Comment le cinéma utilise-t-il le rap et comment celui-ci devient-il un acteur important de cette industrie ? C’est ce à quoi nous allons réfléchir dans ce premier article.


Le cinéma et les artistes rap

Des rappeurs acteurs :

Parmi les nombreuses professions qui participent à la création cinématographique, il y a évidemment le métier emblématique d’acteur. Beaucoup de films ont déjà permis à des rappeurs de passer au grand écran.

Joey Starr, par exemple, a participé à des dizaines de films et séries, ce qui lui a permis une réelle conversion vers ce domaine. Disiz La Peste, quant à lui, a obtenu le rôle principal dans le très bon Dans tes rêves sorti en 2005. Depuis quelques années, Kaaris apparaît lui aussi dans des longs métrages comme Fastlife, Braqueurs, Overdrive et Lukas. Ces derniers temps, on a également pu voir Gringe dans Carbone, Les Chatouilles et L’heure de la sortie ; Sadek a tourné dans Tour de France et dans Fleuve noir ; Sofiane est apparue dans Frères ennemis, et bien sûr, il y a Nekfeu qui a joué dans Tout nous sépare. Dernièrement, le film Paradise Beach a réuni Seth Gueko, Kool Shen, Dosseh, Nessbeal et Hache P. On note également de nombreux caméos de rappeurs mais on ne peut pas les considérer de la même manière que de véritables rôles. Mais les rappeurs n’apparaissent pas seulement au grand écran : on peut en voir certains dans des court-métrages comme Moha La Squale avec La graine, Lorenzo dans Lucien Boursin, et, il y a quelques semaines, Vald dans la trilogie Je taim3 ; ou encore dans des séries comme Lacrim avec Force & Honneur.

On remarque alors que des rappeurs qui jouent dans des films il y en a beaucoup. Certes, ce ne sont pas toujours d’excellents films mais ce n'est pas vraiment ce qui nous intéresse ici. Les rappeurs sont souvent sélectionnés afin de ramener un certain public plutôt que pour leur réel talent d’acteur ; et mis à part quelques exceptions, c’est sous leurs noms d’artistes qu’ils sont mentionnés (ce qui ne veut pas dire que l’on ne peut pas avoir une carrière avec son nom d’artiste mais cela témoigne tout de même d’une différence avec un acteur au parcours "ordinaire"). Ainsi, en termes d’acteurs, le rap est plutôt présent dans le cinéma, et apparemment cela aurait tendance à se développer de plus en plus. Mais quand est-il des rappeurs qui font concrètement des films ? Existe-t-il des rappeurs réalisateurs ?

Des rappeurs réalisateurs :

Le premier rappeur français qui décide de (co)réaliser un long métrage est Akhenaton en 2000 avec Comme un aimant. Dix ans plus tard il co-réalisera de nouveau dans Conte de frustration. Dosseh, quant à lui, invite un grand nombre de rappeurs dans son film intitulé Karma sorti en 2013. En 2014 et 2015, on a pu voir deux très bons films (co)réalisés par des rappeurs et mettant en avant le rap : Qu’Allah bénisse la France de Abd Al Malik, et Comment c’est loin d’Orelsan.

Même si le nombre de rappeurs (co)réalisateurs de (leurs propres) clip(s) a tendance à augmenter, quand il s’agit de longs-métrages, la liste est plutôt courte et les projets sont assez rares. De plus, la plupart de ces films ne sont pas vraiment reconnus pour leur réalisation qui, pour certaines, laissent à désirer. En clair, le cinéma et les rappeurs présentent un certain nombre de liens, mais ces derniers révèlent rapidement des limites. On peut alors se demander ce qu’il en est du rap en tant que tel, de la musique en elle-même. Quels sont les liens entre le cinéma et la musique rap ?

Le cinéma et la musique rap

Les bandes originales :

Parmi les films cités précédemment, plusieurs contiennent des morceaux de rap : Comment c’est loin, Tour de France, Dans tes rêves et Qu’Allah bénisse la France. A cette liste on pourrait ajouter Fatal qui, même s'il est parodique, a le mérite de mettre en avant le rap. Leur point commun c’est que l’histoire est basée sur l’évolution d’un ou de plusieurs rappeurs, ainsi la présence de rap paraît être une évidence. Mais existe-il des films contenant du rap français dans leur bande originale sans parler eux-mêmes de rap ? Il s’avère que ces films-ci sont très rares, et ils peuvent se compter sur les doigts d’une main. Les plus intéressants (et sûrement les meilleurs) d’entre eux sont : Sheitan sorti en 2006 et Le monde est à toi sorti en 2018. En effet, ils ont été réalisés respectivement par Kim Chapiron et Romain Gavras, les fondateurs du collectif Kourtrajmé. Ainsi, ils se sont retrouvés de nombreuses fois en contact avec le milieu du rap, ce qui leur permet de bien le connaître et prouve leur intérêt pour cette musique.

Il s’avère donc que mettre du rap dans un film qui ne parle pas de rap est un phénomène plutôt rare. Les réalisateurs/scénaristes qui en intègrent dans leurs films se trouvent être proches de ce milieu ou au moins être auditeurs de cette musique (ce qui, logiquement, est le cas pour tous les styles de musique). Le nombre d’auditeurs de rap ne faisant qu’augmenter, on peut s’attendre à ce que les films avec du rap se multiplient.

Les bandes originales inspirées :

Malgré le fossé séparant le cinéma et la musique rap, certains films tentent, avec leur production, de bâtir des ponts vers ce milieu, et notamment par le biais des Bandes Originales Inspirées du film. Des B.O.I. composées essentiellement de rap français, il y en a beaucoup. Il y a bien sûr celles des cinq films Taxi, qui permettent de parcourir 20 ans de rap français en cinq projets. On a également pu voir celle de Ma 6-t va crack-er, celle de Sheitan (déjà cité plus haut), celles de Banlieue 13 et de sa suite, celle de La pièce, et bien sûr celle du diptyque sur Mesrine. Dernièrement on a également pu découvrir celle de Black Snake. Du côté de la Belgique, il y a eu celle du magnifique film Black et aussi celle du très bon Tueurs.

Même si la démarche des B.O.I. est clairement commerciale et promotionnelle, elles ont le mérite d’enrichir le rap en réunissant des rappeurs de notoriétés différentes sur un même album, le tout autour d’une même ambiance, et ce depuis plus de 20 ans. Ainsi, on peut affirmer que les B.O.I. représentent le lien le plus développé et le plus ancien entre le cinéma et le rap.

Le bilan que l’on peut faire de tout cela, c’est que même si les Etats-Unis sont une fois de plus en avance, les liens du cinéma vers le rap français ont tendance à se multiplier et à s’améliorer. Ainsi le rap français devrait se développer au cinéma en fonction de l’évolution du rap français lui-même, c’est-à-dire devenir plus présent, plus accessible et plus diversifié. Cet article traitait des liens les plus importants du cinéma vers le rap afin d’être le plus accessible possible mais j’aurais également pu mentionner des éléments plus rares dans cette relation en parlant par exemple de Rohff qui a doublé un personnage dans Arthur et les Minimoys, ou encore de Deen Burbigo qui a adapté en français les paroles rappées du film Patti Cake$.


Cet article est complementaire de la seconde partie qui traite de la relation inverse, c’est à dire des liens du rap vers le cinéma.

Rédaction : Alexis R.

Plus d'articles